LA RUE DU ROCHER (itinéraire littéraire 1-A)

Publié le par LAURENCE NOYER

LA RUE DU ROCHER (itinéraire littéraire 1-A)

44 RUE DU ROCHER

Ernest Raynaud : « La mêlée symboliste » « En 1888, Jules Renard fit un mariage d'amour qui lui apportait en même temps quelque aisance. Les deux époux s'installèrent rue du Rocher. C'était un spectacle touchant que celui de leur tendresse. Renard, jeune « elle avait à peine seize ans, intelligente, vertueuse, agréable, enveloppait son mari d'une affection vigilante, Elle parait les choses de sa grâce, enjouée et saine. Renard demeura fidèle et rangé. Dès qu'on entrait, on se sentait baigné d'une atmosphère tranquille. Une vertu pacifiante fleurissait autour de la lampe. Cotte intimité bourgeoise avait son charme et reposait des intérieurs d'artistes, ordinairement traversés de fracas et d'orages. On en emportait une impression de bonheur. Le logis était confortable, mais sobre. Les. livres en étaient le seul luxe et la seule fantaisie. Chez Renard, ils se sentaient chez eux, feuilletés et caressés à toute minute. Ils empiétaient comme des animaux domestiques trop choyés. Ils prenaient possession des chaises, s'annexaient les fauteuils, escaladaient
les tables, grimpaient le long des murs qu'ils finissaient par recouvrir complètement de leurs rayons multipliés, exilant les gravures et jusqu'aux portraits de famille. Renard entendait qu'on leur assignât une place d'honneur, et il s'étonnait de ne pas voir les bibliothèques régner en maîtresses dans les salons on il éta
it reçu…. »

André Billy : Le Figaro, 7 novembre, à l’occasion de la pose d’une plaque commémorative sur sa maison rue du Rocher , évocation d’une visite rendue à Jules Renard le 8 mars 1908 « C’est à droite en montant dans la rue du Rocher, au numéro 44, une maison d’aspect provincial, de trois étages, avec trois fenêtres de façade, - j’y ai pénétré à plusieurs reprises, en 1907 et 1908, pour rendre visite à l’auteur de Poil de Carotte. Tout jeune débutant, je venais lui prendre une interview à l’occasion de son élection chez les Goncourt et, de la part de Lucien Descaves, à qui je ne me rappelle pas pourquoi l’idée était venue de me charger de cette commission, lui renouveler la proposition d’écrire pour un éditeur anglais un chapitre sur les jardins qui devait être payé 500 francs. « 500 francs, ça ne se refuse pas », me dit Renard. Ecrivit-il le chapitre ? Je l’ignore. J’ai conservé de mes visites rue du Rocher une impression très particulière. J’étais timide, mais je suppose que Renard l’était encore plus que moi, car il m’intimida extraordinairement par ses silences et ses phrases à peine ébauchées… »

Annette Vaillant : Mercure de France 1974 « Le pain polka » (livre) « p 18 : Juste en face chez nous, rue du Rocher, demeurent les Jules Renard, au 44. La maison, détruite depuis lors est petite et blanche. Il faut monter trois marches pour atteindre la porte noire agrémentée d’un gros anneau. Sa poitrine ballante dans un caraco toujours à demi entrouvert pour donner le sein, la concierge est collée à la fenêtre, un poupon dans les bras. La loge est bourrée d’enfants braillards. Il faudra chaque fois passer vite : ces petits mal mouchés ont toujours la varicelle ou la coqueluche. L’escalier sombre, tendu de toile de chanvre, sent la cave. Les commodités se trouvent à mi-étage. Si j’éprouve un petit besoin pendant la visite, ce n’est pas là que Baïe me conduira, mais dans le cabinet de toilette ménagé entre deux pièces de l’appartement. Brocs et seaux, et le petit pot, sont dissimulés sous la table juponnée où trône une cuvette à fleurs. Baïe Renard est une jeune fille blonde, de figure un peu bovine, mais très vive, très gaie. Elle porte un tablier à bretelles sur sa robe de laine à carreaux. Dans le bureau de Jules Renard, qui donne sur la rue pavée de bois, il n’y a pas de tableaux, mais quelques gravures, des Poil de carotte. Cadeau artistique des Rostand, la chauve-souris des Histoires naturelles, en métal martelé, son ventre en verre rebondi, est appliquée au papier-tenture. De l’autre côté de l’entrée minuscule, une salle à manger carrée. Sur le tapis vert de la table qui prend toute la place, un cygne en porcelaine blanche, jardinière vide. La fenêtre nue offre l’horizon du quartier de l’Europe, de ses départs. Dans cette vieille maison du Paris d’autrefois, maison qui avait été la dot bourgeoise de Marinette, je suis retournée bien des fois. Madame Renard est grande, d’une beauté toute simple, avec des gestes posés, lents comme sa voix ; une grosseur ovale épaissira au cours des années son cou lisse. La vie de Marinette Renard, méticuleuse dans l’entretien de son ménage modeste, comme l’est Jules Renard cherchant la phrase dépouillée, le mot juste, cette vie est dédiée à son mari, à ses enfants – Fantec et Baïe – à ce logement qu’elle astique, à la cuisine qu’elle mijote avec bonheur pour un époux bien aimé, difficile, qui ne saurait en accepter aucune autre… »

Robert Dieudonné : La Presse, 8 mai 1903« Jules Renard, de Poil de Carotte à Mr Vernet » « Une interview – le « home » - Littérature et philosophie mêlée. La rue du Rocher grimpe voir les Batignolles. Quatre ou cinq petites maisons provinciales voisinent, portes closes, discrètes. C’est dans l’une d’elles que demeure Jules Renard. Les écrivains contemporains ont coutume d’habiter des maisons modernes, dans des quartiers neufs ; lui est resté là dans cette vieille rue, dans cette vieille maison. Un escalier obscur mène à sa porte. On sonne. Ce n’est pas un timbre, c’est une vieille sonnette qui carillonne ; c’est une domestique qui ressemble à une bonne de curé qui vient ouvrir. Mais me voici dépaysé tout à coup : le cabinet de Jules Renard, l’atelier, le laboratoire. Tout est rangé en place, en ordre ; les livres s’alignent dans la bibliothèque, sans fantaisie ; le mur est couvert de dessins, d’affiches et de photographies. Voici Tristan Bernard qui sourit dans sa barbe ; Capus dont un pli creuse le front. Voici des dessins de Valloton, des dessins de Vuillard, une affiche de Willette, une autre de Grasset et là-bas, derrière la porte, une lithographie de Henri Bataille : Jules Renard. Devant la fenêtre, il y a un pupitre de collégien, avec quelques taches d’encre, et dans le milieu de la pièce un grand tableau noir… Et la porte s’ouvre et Jules Renard entre … Il est midi, la rue du Rocher, passante, semble s’être endormie sous l’averse, et un grand silence envahit la maison. – Voyez-vous, dans la vie, il faut être bon, bon sans orgueil et sans malice, bon sans arrière-pensée, bon… je vous le répète, parce qu’au fond, c’est bien plus difficile… »

Louis Vauxcelles ; Le Matin, 28 aout 1904 « Au pays des Lettres » « Il y a deux Jules Renard, le Jules Renard d’hiver et le Jules Renard d’été. Le Jules Renard d’hiver est vêtu d’une douillette robe de chambre et tient à la main un porte-plume. Il est situé au deuxième étage d’une maison bourgeoise, rue du Rocher, à Paris, dans un cabinet de travail sobre de fanfreluches, et où je vois, entre autres, un subtil portrait dû au poète Henry Bataille. Quand un ami vient, le matin, vers dix heures, le maître de céans pose son porte-plume ; son visage sérieux et placide, ses yeux aigus d’analyste s’éclairent d’un sourire accueillant ; il parle littérature, journaux, théâtre, d’une voix posée, sans effets, sans phrases. Point d’énervements, un équilibre parfait. Et ses propos sont judicieux ; l’ami part, lesté d’un bon conseil… C’est là, dans ce cabinet paisible, près de sa femme et de ses beaux enfants, que Jules Renard, avec une sûre et sagace lenteur, a écrit ses Sourires pincés, et le Vigneron dans sa vigne, et l’Écornifleur, et Monsieur Vernet, et les Histoires naturelles…. »

Jean Giraudoux : Grasset, décembre 1909, « souvenirs de deux existences » « Jules Renard m’a fait dire qu’il serait content de me voir chez lui, rue du Rocher. C’est dimanche. Il fait très beau. Le bonheur de l’hiver éclate même sur la gare Saint-Lazare. Mais je suis mal tombé dans ma visite. Jules Renard a quelque contrariété ; il me parle distraitement. Je m’excuse, je dis que je reviendrai un autre jour. – Quel jour ? – Un jour où vous serez moins occupé. – je ne suis pas occupé, me dit-il. Je suis malheureux. Non tout le monde va bien chez moi. Ma femme m’aime, mes enfants sont charmants. Mes amis sont dévoués. Ma pièce a du succès. Mes livres se vendent. Le chien de la concierge aussi m’adore. La famille, l’amitié, le travail, tout me réussit. Mais je suis malheureux… »

Henri Genet : Revue socialiste, juin 1910 « Jules Renard » « …Dans son paisible cabinet de travail de la rue du Rocher, devant une grande table sur laquelle il n’y avait que de l’encre du papier et une rose, il s’installait : « il est nécessaire que la poitrine touche la table. Sinon tu mettrais tes mains dans tes poches et tu fixerais le plafond… » Essayez ! vous verrez que c’est très difficile… »

Noël Sabord : Le Pays d’Ouest, 1911 « Un grand écrivain régionaliste, Jules Renard » « …Comme la plupart de ceux qui se destinent à la périlleuse carrière des lettres, Jules Renard vint à Paris, jeune encore, et c'est à Paris qu'il est mort, au printemps de 1910, dans son modeste appartement de la rue du Rocher, à deux pas des boulevards, dans le vacarme d'une ville agitée. Mais parisien d'adoption et soucieux de ne se point civiliser à l'extrême, le bruit du monde n'atteignait pas à son étage et il eut à cœur, provincial de Paris, de conserver, jusqu'à son dernier jour, dans sa personne et dans son œuvre, quelque chose de cette allure simple et rustique qu'il avait rapportée de son lointain Morvan… »

L’homme libre, 6 octobre 1913 : « en l’honneur de Poil de Carotte » « …je rencontrai un jour, Jules Renard rue St Lazare. Il regagnait son petit appartement de la rue du Rocher, où il disait qu’il faisait si bon et si fier travailler…. »

Lucien Descaves : « Jules Renard » 1925 « …mais par-dessus tout l’intimité de la petite maison de la rue du Rocher, qu’il habitait et où il est mort. Le cabinet de travail où nous allâmes lui annoncer son élection à l’Académie Goncourt était à peine assez grand pour nous renfermer tous. Jules Renard était-il déjà malade à ce moment-là ? je ne le crois pas, car il apporta pendant quelque temps à nos réunions sa haute conscience et son information scrupuleuse. Non seulement il lisait tous les livres, mais il les annotait… »

André Antoine : Bernard Grasset « Mes souvenirs sur le théâtre Antoine et sur l’Odéon » « … Juin 1900 – Aujourd’hui, visite à Jules Renard dans sa petite maison rue du Rocher, espèce d’héritage à moitié hypothéqué, qui lui donne des airs de propriétaire…. »

Léon Daudet, Action Française, 20 décembre 1938, « Jules Renard » «…J’allais le prendre chez lui, rue du Rocher, où il habitait avec les siens, une petite boîte à mouches. Nous allions faire des armes ensemble et nous revenions boire, en devisant, un verre ou deux d’un vin blanc, exquis et frais, de son patelin… »

Paul Cornu : Les Cahiers Nivernais et du Centre, aout-septembre 1910, préface des « causeries » «…Mes loisirs étaient devenus rares ; je ne passais rue du Rocher qu’à de longs intervalles. Aussi l’impression que me causa la vue du malade fut-elle extrêmement douloureuse. Je croyais à une fatigue passagère : je le trouvais blanchi, vieilli, maigri, las de tous les membres, articulant encore plus lentement ses mots et d’une voix encore plus sourde. J’eus le pressentiment de sa fin…. »

Maurice Mignon: Nice Matin, 26 mai 1960 : A propos du cinquantenaire de la mort de Jules Renard » «Dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 mai 1910, mourait à Paris, 44 rue du Rocher, l’auteur de « Poil de Carotte » et des « Histoires Naturelles » ; l’après-midi du lundi, le train du Morvan, qu’il avait pris tant de fois l’emmenait à nouveau, mais cette fois dans un cercueil. Son fidèle disciple, le romancier Henri Bachelin, l’accompagnait : « le mardi 24, à 8 heures, le corbillard l’emmena de Corbigny à Chitry. C’était une matinée de soleil clair… »

Léon Guichard : Avant-propos :« Exposition dans le foyer de la Comédie Française 1965 On avait apposé une plaque sur la maison qui avait été la sienne à Paris, 44, rue du Rocher, près de la gare St Lazare. Le tout à grand renfort de discours.

André Billy : Paris midi, 22 mai 1911 « Un anniversaire. Il y a un an aujourd’hui qui Jules Renard est mort dans le petit appartement de cette maison qui avait l’air d’avoir été construite pour lui, rue du Rocher, en plein quartier d’affaires. Ceux qui venaient le voir là avaient l’impression d’être sur un ilot rustique que Paris avec sa grande rumeur eût étroitement cerné. On sentait ce que cet asile avait, pour celui qu’il abritait, de précaire, de provisoire et que Jules Renard n’y était présent « moins qu’à moitié », et c’était chez le visiteur une sensation de gêne très particulière, unique peut-être… or voici un an que Jules Renard a quitté pour toujours sa petite maison de Paris afin d’aller reposer sous la terre des champs… ».

Jean de l’Escritoire (André Billy) : Paris-midi, 6 octobre 1913 « Emile Pouvillon a une avenue. Pourquoi Jules Renard n’aurait-il pas une rue ? La rue du Rocher, par exemple ? Qu’un rural tel que lui ai choisi, pour s’y loger, cette rue étroite et bruyante du quartier de l’Europe, cela est surprenant. Mais Jules Renard aimait Paris beaucoup plus qu’il n’a voulu le laisser paraître… »

Léon Guichard : NRF 1961 : Renard « Au centre, la petite maison de la rue du Rocher, dont Renard devint propriétaire par son mariage, et où il logeait, au-dessus de sa belle-mère. Elle est aujourd’hui la propriété de l’Electricité De France. Une plaque vient d’être y apposée.

vendredi, 2 Janvier 2009 :Un Rocher et l'enclume

Adam : ( Rue du Rocher, 75008 )
" Ajoutez Deux lettres à Paris, C'est le Paradis ". L'auteur français et Parisophile, Jules Renard, écrit cet hommage célèbre à la ville dans son " Journal ", mais ce serait une tâche difficile de trouver des traces de paradis dans les traces de Renard à la ville. Il a vécu dans le bonheur apparent, au numéro 44, rue du Rocher dans le 8ème arrondissement, mais aujourd'hui, le terrain sur lequel il habitait est recouvert d'un bloc de béton massif brutalisme. La ville est parfois sévère sur ceux qui l’ont aimé le plus.

A proximité de la gare Saint-Lazare sur une ancienne route vers Argenteuil, la rue du Rocher n'est pas « Stairway to Heaven », mais est plutôt témoin du fait que les parties les plus indéfinissables d'une ville peuvent cacher souvent des histoires les plus fascinantes. Prenez chaque rue comme un terrain d'aventure urbaine et vous pourrez sans doute déterrer les joyaux boueux, les diamants historiques et bizarre pépites architecturales, qui, à première vue semblent être déguisés en plexiglas rayé. Aujourd'hui, la rue du Rocher semble manquer un certain nombre 44, avec le bureau bloc situé dans cette idée de prendre les espaces sur au moins trois structures précédentes. Ces bâtiments brutalistes sont un spectacle rare dans le centre de Paris, mais ils sont presque invariablement des maisons des industries du gouvernement ou de l'État. Celui-ci est le foyer
de l’Electricité de France.

L.N

Le 44 rue du Rocher  en 1957 et en 2013
Le 44 rue du Rocher  en 1957 et en 2013

Le 44 rue du Rocher en 1957 et en 2013

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