LARROUMET

Publié le par LAURENCE NOYER

Gustave Larroumet : Le Temps, 5 mars 1900 « Poil de Carotte » (théâtre) « J’ai rarement vu une œuvre causer au théâtre une émotion plus générale, plus profonde et plus franche que Poil de Carotte. Moitié en récit, moitié en action, Poil de Carotte est le tableau du martyre subi par un enfant, entre une mère qui lui préfère son frère et un père trop faible et indolent pour le protéger. C’est l’histoire de Cendrillon transportée dans la vie réelle et contemporaine, chez des bourgeois de campagne. Ainsi nommé pour ses cheveux rouges, Poil de Carotte est le fils de M. et Mme Lepic ; Mme Lepic, impérieuse et doucereuse, dévote et dissimulée ; M. Lepic détestant de tout son cœur cette nature de femme, mais fatigué de la lutte et assurant sa tranquillité par une indifférence taciturne. Leur fils, c’est un garçonnet de treize à quatorze ans, observant de ses yeux candides et tristes, comprenant et jugeant, fier et humilié, souffrant horriblement de la sécheresse maternelle et de la mollesse paternelle, mais refoulant sa souffrance, car il ne peut ni ne veut la confier à personne, jusqu’au jour où on le trouvera noyé ou pendu. Pourtant, il est conduit à s’expliquer avec son père, par hasard. Une nouvelle bonne est entrée dans la maison. C’est une campagnarde intelligente, franche et hardie, qui n’a pu voir de sang-froid l’enfant surmené de travail, mal nourri et battu. Ses réflexions ont obligé M. Lepic à ouvrir les yeux. Le père et le fils s’expliquent : ils tombent dans les bras l’un de l’autre, car ils sont également malheureux et ils font alliance contre la mère. Cette pièce poignante, toute d’observation et de vérité, sans le plus léger sacrifice à la convention théâtrale, conduite avec une gradation très sûre, écrite avec une sobriété et une plénitude magistrales, est jouée par Mme Suzanne Desprès et M. Antoine dans son caractère et sa note. Les deux acteurs rendent la pensée de l’auteur avec cette fidélité rare qui donne l’impression du parfait naturel, de la vie simple et tragique. C’est de l’art le plus fort et le plus élevé dans le plus humble des sujets et des milieux. Le seul défaut de la pièce serait dans ce personnage de Mme Lepic, un peu écourté, et si Mme Ellen Andrée lui donne une physionomie insuffisante, ce n’est pas sa faute. »

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