PAILLARD

Publié le par LAURENCE NOYER

Louis Paillard : Fantasio, 1er décembre 1907 « nos humoristes en robe de chambre », A l'occasion de l'élection de Jules Renard à l'Académie Goncourt, le 31 octobre 1907 « Quand Jules Renard vint, il y a quelque douze ans s’installer pour de longues villégiatures à Chaumot dans la Nièvre, à deux pas de son village d’enfance, il loua une vieille maison aux allures de presbytère et qui ouvre sur un jardin de curé. A la porte il fit placer une pancarte où des lettres d’émail blanc forment ces mots : « La Gloriette ». Les gens de Corbigny, la petite ville proche se gaussèrent jusqu’à l’indignation. Etait-ce assez prétentieux, ce diminutif du mot « gloire » qui s’affichait à la porte ! Mais Jules Renard, qui connaît sa langue, disait négligemment à qui lui parlait du menu scandale : « Ouvrez dont Littré… » On y lit en effet : Gloriette,s.f. – terme d’architecture. Petit Bâtiment, pavillon, cabinet de verdure, dans un parc ou un jardin. Personne n’ouvrit Littré – et pour cause ; cet ironiste avait mystifié la critique locale. Jules Renard est au village, un homme politique. Oui, oui, parfaitement. On peut lire toute son œuvre sans s’en apercevoir, mais c’est comme cela. D’abord il est maire, et celui de nos confrères qui le déclarait naguère un magistrat municipal fort indifférent, ce confrère-là est un affreux calomniateur. Il ne lui sera point pardonné. Maire de ce Chitry où grandit Poil de Carotte dont Jules Renard n’est qu’un superbe agrandissement, l’auteur de tant de paysanneries et de bucoliques gère les intérêts de sa petite commune rurale comme on officie… Un soir, au foyer de la Renaissance, M. Clémenceau et un ami devisaient. Renard vint à passer. – tenez, dit l’ami, voici Poil de Carotte. – Ah ! répondit Clémenceau, c’est étonnant ce qu’il ressemble à Rochefort… Pour ses compatriotes, le maire de Chitry est « monsieur Jules » tout court. Ils l’aiment, pour la plupart, mais comme un être mystérieux. Ils savent que ses livres parlent d’eux et cela les intrigue sans les effrayer. Pourtant il est maire, il porte ruban rouge, on lit son nom dans les journaux, on ne le lit pas, il a tout l’air d’un paresseux, mais c’est quelqu’un. Peu de bourgeois, là-bas, sont ses amis, mais il en compte quelques-uns parmi les laborieux. La moitié de l’année « Monsieur Jules » vit là au village où par hasard il n’est point né, mais où il a grandi et poussé toutes ses racines comme un arbre transplanté en pleine jeunesse. Il est délégué cantonal, président d’honneur de sociétés. Et cet homme qui sait « presque se taire » - il s’en vanta par écrit – pour un peu quand on le sollicite, y va de sa petite conférence. Il croit que des pensées saines exprimées en public vont ainsi se loger dans les fronts bas, sous les cheveux en broussaille. Il ferait volontiers un sermon laïque. Je l’ai entendu, à une distribution de prix qu’il présidait, prononcer un discours ému sur la République. Il en aime la fête, le lundi de la Pentecôte, quelques forains s’installent sur le bord de la route qui descend vers l’Yonne en longeant le parc du château. A cette occasion on peut contempler monsieur le maire qui est adroit tireur – et bon chasseur au demeurant – faire « un carton » avec un imperturbable sérieux. Jules Renard silhouette ses compatriotes en ironiste mais je vous assure qu’il les aime, car ce prétendu misanthrope, cet homme en réalité peu commode porte à l’humanité en général un amour presque ingénu. Il proclame volontiers qu’il faut être bon, la bonté n’a pas de plus sincère apologiste. A un ami qui lançait un jour : - Vous, vous n’êtes pas né bon mais vous l’êtes devenu par un constant effort, Jules Renard, qui se sentait deviné, répliqua : - De ma vie on ne m’a fait si beau compliment… Voilà Jules Renard célèbre à Paris et même en Nivernais : de la gloriette à la gloire, l’étape est franchie.»

Publié dans Goncourt

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