PIERREFEU

Publié le par LAURENCE NOYER

J de Pierrefeu : Les Débats ; 28 septembre 1919 « Les Cloportes » : « M. Bachelin, qui présente l’ouvrage au public, pense que l’auteur se détacha des Cloportes à cause du caractère dramatique qu’il lui avait par endroits imprimé. Ce qui allait, comme on le sait à l’encontre du but poursuivi par Jules Renard, dont tout l’effort tendait à la représentation de la réalité nue, de la vie moyenne dépouillée de tout romanesque. Cette raison ne me paraît pas assez forte pour légitimer la suppression complète d’un livre qu’on pouvait aisément retoucher ; Françoise pouvait mourir autrement que comme Jeanne d’Arc, et il était facile d’enlever la scène de Fabrice dans le bois sans nuire aucunement à l’ensemble. Quant à l’accouchement clandestin de Françoise, il est malheureusement d’une vérité assez courante pour que Jules Renard n’eût pas à craindre, à son endroit, d’encourir le reproche de romanesque. La vraie raison, voyez-vous, c’est bien celle que je crois avoir entrevue, Jules Renard avait mis dans les Cloportes presque tout ce qu’il avait à nous dire sur son village et ses habitants. Il eût fallu ensuite que, sous peine de paraître trop se répéter, il changeât de lieu et de milieu. En effet, sous la forme d’ensemble du roman, les choses s’usent beaucoup plus vite que lorsqu’on les examine à la loupe, détail par détail. On les peint dans leur masse et dans leur mouvement, et l’on ne peut plus y revenir. Or, Jules Renard était d’imagination trop courte ; il était lui-même trop casanier et, disons le mot qu’il applique à ses personnages, trop cloporte pur entreprendre de s’expatrier littérairement de son petit pays. Car il ne pouvait peindre que ce qu’il connaissait bien, après une longue fréquentation ; son imagination ne suppléait pas à la vision réelle des choses, comme chez les romanciers bien doués. Et puis, pour tout dire, il était au fond de l’avis des classiques : la matière lui importait peu ; ce qui lui importait, c’était la façon de la présenter, de souffler sur l’argile. Il avait trouvé du premier coup, par un effet de son talent, un procédé d’art, une manière d’interpréter le réel, de refléter le monde et les êtres vivants. Un carré de jardin lui aurait suffi pour mener à bien ses expériences de chasseur d’images. Car il ne fut que cela toute sa vie. Mais l’image ne vaut réellement que si elle a été patiemment et longuement mûrie. Chaque fois qu’il applique son procédé à des spectacles qu’il connaît peu : la mer, la Côte d’Azur par exemple, ses images sont extrêmement artificielles. C’est de l’article de Paris, de la monnaie de caricaturiste. Je sais bien que c’est par là surtout qu’il s’est rendu célèbre, mais n’empêche que dans son œuvre il faut établir une distinction profonde entre « le Voyageur à Nice » et Une famille d’arbres ». Que lui faisait, dans ces conditions, un beau sujet ? Comme le ciseleur, il préférait broder de menus objets où sa fantaisie de décorateur spirituel et souvent émouvant se déployait à l’aise, qu’entreprendre une statue dont il n’eût pas su dégager les lignes principales. »

Publié dans LES CLOPORTES

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