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Publié le par LAURENCE NOYER

Jean Vignaud : Le Petit Parisien, 19 novembre 1935 « Quelques Livres »

Ils sont nombreux, en province et à l'étranger, les Jeunes hommes et les  femmes qui rêvent de la vie littéraire à Paris, brûlent de la connaître et se déclarent prêts à donner non seulement une parcelle de leur vie, mais de leur âme pour s’y mêler et jouer un rôle. C’est à eux, que le Journal de Jules Renard s'adresse avant tout; après sa lecture, ils accepteront mieux leur vie, ils reviendront à une appréciation plus
saine de leur bonheur, du moins faut-il l'espérer! Ce qu'est, dans la réalité, cette
existence de l'homme de lettres qui possède à leurs yeux un tel attrait. Ils vont
rapprendre- en suivant pas à pas pendant près d'un quart de siècle la carrière d'un
écrivain qui est devenu célèbre, d'un écrivain qui a réussi, qui a fini par conquérir
la gloire qu'il a toujours recherchée, à laquelle il n'a fait que penser, ils verront
également de quelle misère, de quelle angoisse, de quel enfer cette gloire est faite.
Considérée à ce point de vue, la lecture du journal de Jules Renard est édifiante
Pirandello, à qui l'on demandait récemment quelques souvenirs sur sa vie, répondait « Mais je n'ai pas vécu ma vie, je l'ai écrite. Jules Renard, dont l'œuvre est mince et parfaite, n'aurait pu donner pareille réponse. Ce n'est pas son art qui l'a empêché de vivre, s'est sa nature même, pleine de contradictions, à la fois noble et mesquine, généreuse et méchante passionnée et calculatrice et cependant
il se dégage de son livre une sincérité poignante qui n'est pas sans grandeur.
Il écrit dans son Journal qui comprend une période de 23 ans, de 1887 à 1910, qu'il a tiré de la vie tout ce qu'elle a pu instantanément lui donner. Il    n'en a pas tiré de la     joie en tous les cas mais Jules Renard saït-il ce qu'est la douceur de vivre? J'ai connu le bonheur, dit-il, ce n'est pas ce qui m'a rendu le plus heureux. Quoi donc a pu rendre heureux un pareil     homme qui ne cache pas son besoin, à certaines minutas, de dire du mal des autres et avoue, par ailleurs, sa vanité stupéfiante ? C'est de voir triompher son oeuvre personnelle, pour laquelle
il a consumé ses forces et peut-être perdu son âme; cette œuvre qu'il fait passer
avant sa famille, avant son repos, avant sa santé Il est un martyr de son art, à la manière de Flaubert, qu'il n'aime pas mais là où Flaubert pousse son coup de gueule. Renard plante son sourire pincé ce qui ne l'empêche pas, avec son style sec - il dira constipe - d'atteindre,
lui aussi à la perfection. Et puis, Jules Renard n'est méchant, comme il le dit encore, que sur le papier; au fond, il est timide- C'est, par moments, un paysan étourdi par son succès. Ses joies sont puérile L'accueil de Sarah Bernhardt est le plus beau jour de sa vie.
Il est bien difficile de choisir dans un livre qui compte près d'un millier de pages et qui            contient des portraits, des réflexions sur les hommes, des notation sur le style, des rêves, des cris, des cris comme on en a rarement entendu dans
la littérature Tu ne seras rien, s'écrie cet orgueilleux- Pleure, emporte-toi, prends
ta tète encre tes mains, «espère, désespère, reprend ta tâche, roule ton rocher. Tu
ne sera rien. »
Rien Nous sommes le 23 novembre il a vingt-quatre ans; Il s'exprime comme Job, car il est Job sans les plaies».
Mais quand il dira plus tard, non sans orgueil, qu'il a fait faire un petit pas à
la littérature vivante, la vie dans la littérature, il aura raison.
Il y a. dans son Journal, de grandes et pathétiques beautés lorsque Renard, par
exemple, traduit son émotion devant un coin de campagne, un morceau de nature.
Il parle de l'amitié, des poètes et du style avec un tel enthousiasme qu’on se demande s’il ne cherche à nous mystifier. « Si vous m’annoncer la mort de ma petite fille que j'aime tant, et ai dans votre phrase, il y avait un mot pittoresque, Je
ne l’entendrais pas sans en être charmé. » C'est d'un humoriste, d'un humoriste ma-
cabre, s'entend. On trouvera dans son Journal toute la vie des lettres et du théâtre pendant
vingt-trois ans avec ses méchancetés, ses racontars et ses perfidies- Ce n'est pas
toujours beau. Certains écrivains, dont nous sommes, qui, sur le chapitre des
mœurs littéraires, ne trouvent plus, depuis longtemps, des sujets d'étonnement ont éprouvé à la lecture de ce gros livre qui contient les quatre volumes de l'édition Bernouard de 1927, quelque surprise.
C'est ainsi que j’ai appris pour quelle raison. il y a vingt-huit ans, l'Académie
Goncourt me préféra pour son prix annuel mon concurrent, le romancier Mosefly,
On apprend à tout âge- Nous croyions simplement que le motif en était que son ouvrage était supérieur. C’est de peu d'importance à présent, mais il
s'agit de la mémoire de l'écrivain délicieux et probe qu'était Paul Margueritte. Qu'il
nous suffise de dire • laissons en paix les morts que Paul Margueritte n'a jamais
collaboré sous quelque forme que ce soit au Petit Parisien. Quant aux lettres à
Mirbeau, de Clemenceau et de Poincaré, écrites en ma faveur, j'aurais
bien voulu les avoir méritées. Pitoyables manoeuvres, qui font sourire aujourd'hui,
mais qui frappèrent durement d'autres camarades comme Jean Viollis et Henri
Barbusse. Souhaitons que les candidats présents et futurs des Goncourt ne con-
naissent point ces vilenies. Comment les inventions d'Octave Mirbeau, qui ne pas-
sait point de jour sans accuser un confrère d'avoir volé les tours de Notre-Dame, ont-
elles pu abuser un esprit aussi perspicace Jules Renard. Pourtant où Mirbeau n'a pas menti c'est
quand, en pleine, guerre, il chercha un ami pour lui confier cette pathétique confes-
sion sur le sent de son oeuvre, où il proclamait son amour pour la patrie C'est
à nous qu'il s'adressa.

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