André Billy : Le Figaro Littéraire, No. 1285, 4 janvier 1971, 24. "Renard le timide". «

Publié le par LAURENCE NOYER

« Au début de l’année (1907), il avait des difficultés d’argent, mais la mort de Huysmans, qui laisse vacante une place à l’Académie Goncourt, va le tirer d’affaire. Mirbeau et Descaves mènent en sa faveur une campagne énergique et réussissent, non sans peine, à faire élire leur candidat, le 1er Novembre. Cette élection va permettre à Renard  d’abandonner la critique dramatique qu’il donnait à Messidor et il pousse un soupir de délivrance. Voilà ce qu’on lit dans la chronique que Léon Guichard a établie pour l’édition des Œuvres de Jules Renard  à la Pléiade. Ainsi, en ce temps-là, entrer à l’Académie Goncourt tirait un écrivain d’affaire et lui permettait de ne plus faire de copie pour les journaux. C’est d’ailleurs exactement ce que Goncourt s’était proposé  en créant son Académie. Depuis le pouvoir d’achat du franc est tombé de 350  à 1 et les Dix ne touchent plus chez le notaire de quoi distribuer des pourboires place Gaillon. J’ai vu Renard une fois ou deux  à l’occasion de son élection ; je lui ai fait visite rue du Rocher dans la maison dont sa belle-famille était propriétaire ; il m’a fait une impression étrange. Il laissait tomber dans la conversation des silences gênants. Il m’intimidait, mais lui-même était timide. Je me souviens qu’il me parla de Mirbeau comme d’un homme extraordinairement naïf qui se serait précipité à l’Elysée si on lui avait dit que quelqu’un y était en train de châtre le président de la République. Ce qu’il a fait de mieux, c’est son Journal, document humain de premier ordre. Il a eu un disciple : le Giraudoux de la première manière. Henri Bachelin s’est occupé de sa succession littéraire et, sur l’ordre de Mme Renard, a dû brûler une partie de son Journal trop plein d’histoires d’actrices. Bachelin a hérité de beaucoup de ses livres. Jules Renard est mort trop jeune, mais il n’a pas à se plaindre de la postérité : six ans après sa mort, son monument sur la place de son village, son buste que les allemands avaient enlevé, remplacé par un autre, une plaque sur sa maison de la rue du Rocher, ses œuvres de la Pléiade… Que lui souhaiter de plus ? »

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