André Fermigier : Gallimard « Poil de Carotte » (préface) 1977

Publié le par LAURENCE NOYER

« Toute sa vie Jules Renard a été obsédé par l’idée qu’il était un écrivain mineur, et même qu’il n’avait rien à dire, obsession aggravée du fait que ceux auxquels il devait se mesurer, c’était Zola qu’il admirait, Huysmans qu’il n’aimait guère (« du Zola en zinc »), Maupassant, Daudet, tous écrivains fort prolifiques, sans compter la troupe velue et fluviale des romanciers, des tâcherons naturalistes et des grandes gueules de 1900 (Becque, Rostand, Mirbeau, etc). Il s’en est tiré par l’ellipse, comme Gide à ses débuts (Paludes), avec le singulier courage que supposait, à cette époque le choix de la brièveté, la volonté de sauter les idées intermédiaires, le refus de prendre la public par les tripes et de le travailler à l’estomac. Il a accepté de passer pour un petit maître, un « œil clair » sans plus, et il a quelquefois écouté le conseil que lui donnait Courteline : « Ne vous amertumez pas, Renard », ainsi, lorsqu’on le comparait, pour l’élégance et la pureté de son style, à un artiste japonais : « merci, disait-il. J’accepte. C’est exact et ça vexera les chinois ». Il note avec force la réclusion de Renard (ce qu’on oublie un peu trop : « chez Jules Renard, le livre est premier et lui-même n’est jamais sorti (malgré quelques mondanités d’ailleurs professionnelle) Aucun écrivain de ce siècle, où l’on ne vécut que pour la littérature, ne donne l’impression d’une existence à ce point recluse, codifiée, réglée comme du papier à musique et destinée à ne produire que de la littérature. Balzac spécule, achète des tableaux, Lamartine fait de la politique, Hugo prend des bains de mer, les Goncourt vont dans les mauvais lieux, Zola « accuse », Maupassant chasse la bécasse, Mallarmé guide à Valvins une barque timide, Baudelaire va en Belgique, Huysmans à la messe, Rimbaud au Harrar, Proust à Venise, Verlaine en prison. Lui, rien. Toute sa vie se déroule entre Paris et sa maison de Campagne de Chaumot, entre son appartement de la rue du Rocher (qui n’est pas un endroit très gai), le quartier des théâtres et les séances de l’Académie Goncourt. Même logis, même femme, la fameuse Marinette (a-t-il  eu des maitresses ?) Mêmes enfants (on ne change pas d’enfants comme de femme ou de chemise, mais on peut s’occuper d’eux, les regarder vivre un peu moins qu’il ne l’a fait) même village dont il fut le maire très consciencieux ; il ne s’est jamais détaché de sa mère (Mme Lepic attend, écrit-il à quelques semaines de sa mort) Il faudra toute l’affectueuse obstination de Lucien Guitry pour qu’il aille en voiture( « l’auto, l’ennui vertigineux ») jusqu’à Marseille et devant une actrice qui le fait rêver de folles  liaisons, d’aventures orientales et transatlantiques, il se déclare prêt à aller jusqu’au bout du monde avec sa femme »

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