Dominique Guiou: L Figaro, 29 octobre 1998: "Renard, l'égratigneur" L'Oeil Clair de Jules Renard (L'Imaginaire/Gallimard)

Publié le par LAURENCE NOYER

« Avoir l’œil clair, c’est sans doute pour Jules Renard s’efforcer de voir les êtres et les choses dans leur vérité nue. Cette exigence ne lui fait pas que des amis. Ils sont nombreux ceux qui, célèbres ou inconnus, puissants ou moins que rien, ont été égratignés dans son fameux Journal. Sur un plan purement stylistique, ce désir de dire juste et vrai amène l’écrivain à se méfier des grands mots, des envolées lyriques. La tournure qu’il affectionne tout particulièrement est la plus simple qu’offre la langue française ; le sujet, le verbe, le complément. Ce goût des petites phrases sèches, l’écrivain le revendique constamment : « La beauté du style est dans sa discrétion. » écrit-il. « Le beau style ne devrait pas se voir » ou encore : « On ne doit au lecteur que la clarté ». Jules Renard reconnait toutefois : «  L’horreur que j’ai du mensonge m’a tué l’imagination » Aussi ne parle-t-il jamais de lui, ou de ce qu’il a vu, senti, approché de près. A vingt-trois ans, il note : « Le plus artiste ne sera pas de l’atteler à la fabrication d’un roman, mais(…) d’écrire par petits bonds, sur cent sujets qui surgiront à l’improviste, d’émietter pour ainsi dire sa pensée. Voilà une définition sûre et précise de l’œuvre à venir. Dans l’Oeil  clair, recueil de textes brefs publié pour la première fois en 1913, trois ans après la mort de l’écrivain, Renard donne toute sa mesure. Cela ressemble à son Journal, sans les mots d’esprit d’un goût douteux ou les aphorismes approximatifs qui l’entachent parfois. C’est travaillé à l’extrême, débarrassé de toute scorie. Renard examine, note, enregistre. Il est partout, comprend tout et n’est dupe de rien. Il y a des dialogues éblouissants sur la vie littéraire qui pourraient être dits, aujourd’hui, par des comédiens sur la scène d’un café-théâtre. Il se fait ailleurs le portraitiste d’humbles personnages, une voisine, un valet de ferme ou un cultivateur épris de beau langage. Esquissées dans le Journal, ces silhouettes prennent de la chair dans l’Oeil clair. Voici, parmi d’autres, le poète « Ponge ». Il dit «zharnais. Mais il n’est pas tranquille et se reprend. C’est sa supériorité sur les autres paysans. » Le bonhomme amuse Renard. Mais sa vanité, sa bêtise, l’agacent bientôt, et même l’exaspèrent. Renard voit dans ce cul-terreux la même vanité que chez les salonnards parisiens. Paradoxalement, le regard froid, voire féroce de Jules Renard n’exclut pas une certaine tendresse. Toute l’ambiguïté de l’écrivain est dans ces lignes qui mêlent la pitié au mépris, la compassion à la méchanceté. Jules Renard s’intéressait plus qu’on ne pourrait l’imaginer à la chose publique. Il était maire d’un village du Nivernais. Cette activité lui permettait de se frotter aux réalités sociales, économiques et politiques. A propos du certificat d’études, il note, plus pince-sans-rire que jamais : « Le niveau de l’examen baisse rapidement, mais, par un reste de pudeur, les juges s’obstinent encore à le prendre au sérieux. Ce serait si simple, si humain et si peu injuste de recevoir tous ces petits. » Ces lignes ont été écrites au début du siècle, il y a presque cent ans. C’était hier. »

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