BLOCH

Publié le par LAURENCE NOYER

Camille Bloch : Les Nouvelles, 21 janvier 1909 « L’histoire d’autrefois et d’aujourd’hui » « Mots d’écrit » « M. Jules Renard, romancier, conteur, artiste, vous le connaissez et admirez. Mais à ceux qui aiment déjà l’écrivain, je conseille de faire connaissance avec un autre Jules Renard, homme politique et journaliste de province, ancien conseiller municipal de Chaumot, maire de Chitry-les-Mines, délégué cantonal, rédacteur à l’Echo de Clamecy, « journal républicain indépendant ». Je devrais l’appeler politicien rural et journaliste rural ; car, dans le petit recueil d’articles parut sous ce titre emprunté au parler paysan : Mots d’écrit, que M. Paul Cornu a eu l’heureuse idée de publier en tête de sa collection « les Cahiers Nivernais », il est question des minimes affaires politiques de deux infimes villages. C’est pourquoi ces articles d’un petit journal de petite sous-préfecture forment un véritable document historique. Certes, M. Renard n’est pas un témoin impartial de la vie politique rurale ; il est de son parti, carrément. C’est un républicain, “un rouge”. Il repousse les dogmes religieux, mais il croit à la vertu de l’instruction laïque, et que, grâce à elle, le sort du peuple deviendra meilleur. Quand la conscience des gens de la campagne sera vidée des préjugés qui l’aveuglent et l’aigrissent et l’accablent, quand les intelligences populaires ne seront plus ni si soupçonneuses, ni si crédules, alors l’oppression des curés et des riches cessera, et un peu plus de bonheur social viendra aux paysans par leur propre initiative d’hommes libres. Les âmes républicaines dont les institutions républicaines, telle pourrait être la devise de M. Jules Renard. Je ne dis pas qu’en cette devise tout son idéal politique soit enfermé ; c’est celui qu’il a principalement exprimé dans ses Mots d’écrit. Les snobs des salons ou du boulevard trouveront cela bien peu distingué et bien rebattu, pour un écrivain raffiné : mais M. Renard, sous un style délicieusement sournois, a toujours laissé voir une prédilection pour les cœurs sans détours et fermes. Maintenant qu’il s’adresse aux lecteurs de l’Echo de Clamecy, il ne montre pas seulement des sentiments simples, il les exprime dans le style le plus direct et le plus franc. Oui, c’est avec une simplicité sans apprêt, la belle simplicité du cœur qui « y est », qu’il dit son ambition de « faire aimer de plus en plus, contre ses ennemis, la République, sans laquelle le progrès humain, matériel ou moral, est impossible ». Oui, il ne dédaigne pas de terminer un bref appel aux électeurs tout uniment par cette phrase vue si souvent sur les murs, mais qui, sous sa plume, s’enrichit, comme par miracle, de plus de sens et de plus de portée : « Votez comme un seul honnête homme pour cette liste tout entière, c’est-à-dire pour le bien de notre commune et le progrès de la République ». M. Jules Renard a de l’affection pour les paysans de Chaumot, de Chitry et de Pazy ; ce sont des gens de chez lui, il a grandi parmi eux, les voit tous les ans aux vacances ; il les aime parce qu’ils travaillent, prennent la vie au sérieux, que leurs âmes sont frustres et neuves. Mais sa tendresse est clairvoyante ; il ne se dissimule pas leurs défauts ni ne les leur cache. Leur ignorance surtout le peine. Il en souffre dans sa propre intelligence fraternelle et humaine. Cette ignorance fait les hommes méchants. Ainsi, à la campagne, règne un particularisme local très jaloux, féroce; beaucoup de gens tiennent pour un « étranger » et traitent en ennemi quiconque n’est pas eux-mêmes, ou n’est pas au moins un fermier capitaliste et, dès lors, « honorable » (qu’importe d’où vient celui-ci et où il est né ! L’argent lui donne droit d’office à un certificat d’indigénat.) Etranger dont le fonctionnaire, étranger l’instituteur, étrangère aussi… Ah ! la triste histoire, que nous conte M. Renard, de cette mère abandonnée avec quatre enfants, enceinte d’un cinquième, forcée de quitter Chitry où elle ne trouve pas de quoi subsister, où elle est sur le point de crever de faim parce qu’elle est une « étrangère ». Et il ajoute : « Ces histoires de village, ces simples égoïstes plutôt, sont d’ordinaire ceux qui ne manquent pas la messe. Que font-ils donc à l’Eglise ? Ils n’écoutent donc pas, quand on leur parle de Jésus-Christ ? Ils n’écoutent donc pas, quand on leur explique sa sublime parole sur la fraternité ! » - C’est encore l’ignorance qui fait des électeurs serviles et de pitoyables administrés locaux. A la campagne, peu de conseillers municipaux, si les maires soupçonnent leurs devoirs, connaissent la loi. Devant les preuves qu’en donne M. Renard, on frémit à la pensée de ce que serait aujourd’hui le régime de la complète autorité communale… M. Jules Renard rêve de citoyens libres au cœur élargi d’idéal fraternel ; les autres, d’esclaves résignés aux horizons clos et bas. Lui veut « accrocher la charrue aux étoiles » ; eux veulent l’enliser dans la boue. Ceux qui regardent vraiment le ciel ne sont donc pas ceux qui affectent de tenir les yeux toujours levés au ciel. Ces faux amis, ces vrais ennemis du paysan, c’est le riche propriétaire et le curé, qui ont partie liée contre lui. On voit très bien cela dans le petit livre de M. Renard et c’est aussi une cause de son intérêt. Quel dommage de ne pouvoir ici suivre les démêlés des gens de Chaumot avec le curé de Pazy et l’évêque de Nevers…Mais lisez, lisez vous-même ce grand petit livre d’histoire contemporaine, cet excellent tableau de la vie rurale vue par l’œil sagace d’un peintre ému. Vous reconnaîtrez que M. Jules Renard a fait, en se jouant avec sérieux, une belle action civique…. »

Publié dans mots d'écrits

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