LECIGNE

Publié le par LAURENCE NOYER

C.Lecigne : Paris Centre, « Jules Renard » « Il disait naguère en apprenant la mort de Charles-Louis-Philippe : « Il ne faut pas le plaindre ; il est mort en huit jours ! « L’agonie qu’il se souhaitait à lui-même aurait dû ressembler à une de ses phrases, très courtes, un peu sèches et volontiers brutales. Au lieu de cela, ce fut la mort lente et longue au jour le jour et à petit feu, celle qui dure une année et qui laisse au cœur le temps de s’attendrir, aux yeux de se lever vers le mystérieux au-delà. Ses amis se lamentent en un deuil emphatique. « Nous aurions besoin de clameurs pour exprimer notre émotion ! » s’écriait hier l’un d’eux. Notre émotion est plus discrète. J. Renard était un de ces écrivains à qui « ni Dieu ni la postérité ne paraissent solvables », selon le mot de Veuillot. Ils ne raisonnent pas trop mal en comptant sur l’oubli de la postérité ; Dieu a la mémoire plus fidèle des hommes et leurs œuvres. C’est cette pensée qui nous angoisse devant le cercueil de celui qui fut un homme de lettres et qui ne fut que cela. J. Renard était né en 1864, à Chalons sur Mayenne. Son père était entrepreneur de travaux publics. L’enfance fut très calme, écoulée en pleine nature, parmi les champs et les grands arbres, « sa vraie famille, qui lui avaient appris ce qu’il faut savoir », comme à Poil de Carotte son héros légendaire, « je sais déjà regarder les nuages qui passent. Je sais aussi rester en place, et je sais presque me taire. » C’est toute la science de Poil de Carotte vers l’âge de dix ans. Le père de J. Renard ne se contenta point d’un si mince bagage pour son fils. Il l’envoya à Paris au lycée Charlemagne ; et, par un beau matin, un bachelier nouveau fut jeté sur le trottoir, il était impropre à tout, excepté à la littérature. On le disait fanatique de Rousseau et fou de Hugo. On le rencontrait dans les cénacles excentriques, les « zutistes » et les « hydropathes » déclamant des vers et s’exerçant au paradoxe. Mais le métier ne nourrit point son homme ; J. Renard essayer de le doubler par quelques autres qui seraient plus lucratif. Il donne des leçons au cachet, se fait comptable chez un marchand de charbon, et sollicite même une place d’homme d’équipe à la Compagnie de l’Est. Il ne se décourage point. Il publie un volume de vers, les Roses, où il n’y a guère que des épines : un autre recueil, les sourires pincés, qui sont surtout des sourires…forcés. Il ne sait plus « se taire » désormais ni « rester en place ». La haine l’a pris de cette société marâtre qui laisse le génie entre les sacs de charbon et oublie de satisfaire les appétits après les avoir allumés. Le flot d’amertume s’accumule au fond de cette âme, et l’œuvre future n’en sera que le déversoir. Vers 1890, il entre au Mercure de France. A coup de poing et à coups de pied, il enfonce les portes de la renommée. Ses romans, la Lanterne Sourde, le Vigneron dans sa vigne, Poil de Carotte ; ses comédies, le Plaisir de rompre, Monsieur Vernet, sont autant d’esclandres, sinon de scandales. Il a défini certains écrivains trop prolixes » des cholériques de lettres » : il n’est, lui qu’un coléreux, très flegmatique d’ailleurs, qui soulage ses indignations en des anathèmes froids et des sarcasmes brefs. Il est socialiste, mais d’une autre école que celle de MM. Jaurès et Viviani. Pas un brin de mysticisme ; rien du pontife mitré et tonitruant qui déchire les voiles de l’avenir et montre aux badauds de lointains paradis. Je retrouve dans mes notes un article qu’il écrivit un jour sur l’éloquence de M. Jaurès : il est d’une ironie délicieuse et concentré : « On admire ce que Jaurès peut faire entrer, ordonner dans une phrase. Je me souviens qu’il y avait, dans l’une d’elle tout l’univers, et non seulement l’univers visible mais encore l’univers possible, l’univers qui pourrait remplacer demain l’univers d’aujourd’hui, si cette même phrase affirmait que l’idéal laïque est illimité, sans autre dogme que le dogme de l’infini. Nous haletions. Nous nous sommes dressés pour battre des mains, et mon voisin, un petit vieux qui trépignait et qui n’était venu que pour voir Jaurès, me cria, tout blanc : - ah ! monsieur, quel malheur d’être sourd ! » J. Renard n’est pas de la chapelle des illuminés ; c’est un profane maigre, un Jean Hiroux, qui hait à plein cœur, tandis que les autres se contentent de haïr à pleines phrases. «Je suis beaucoup plus révolutionnaire qu’on le pense » avouait-il, et il eût ajouté volontiers : « J’en connais qui le sont beaucoup moins qu’ils le disent ». La gloire vint petit à petit, cette gloire un peu spéciale dont les titres ne sont appréciables qu’aux initiés et qui ne se consacre qu’à l’Académie Goncourt. Elle n’adoucit point le caractère de ce demi-raté. Le suffrage universel avait fait de lui le maire de Chitry-les-Mines, sans l’apprivoiser tout à fait. Il collaborait à l’Echo de Clamecy, polémiquait contre l’Evêque de Nevers ou le curé de Pazy, il s’était institué « l’éducateur laïque des paysans et des mineurs de la Nièvre » ; Un primaire sommeillait chez ce gendelettre de l’anarchie et ne perdait pas une occasion d’annoncer bruyamment la fin des dogmes ou le commencement de l’ère nouvelle. La figure n’était pas sympathique. Il y avait la dureté dans le regard, dans le pli des lèvres et jusque dans la forme du front. Ce front désespérait les humoristes : ceux-ci se contentaient d’un pointillé pour le crâne et d’un petit trou noir pour l’œil. J. Renard ressemblait beaucoup à son Poil de Carotte : il était long comme lui, roux autant que lui et l’air un peu niais. Il aurait dû pardonner à la société d’avoir longtemps méconnu son génie, car, en vérité, il fallait le deviner, et le masque était plutôt épais. Il fût le type de l’homme de lettres. Dans un dialogue des Noisettes creuses, il a peint cet individu sous le nom d’Eloi. Eloi est un plumitif qui fait littérature de tout et déterrerait les cadavres pour reprendre des lettres inédites. Il s’en vante d’ailleurs, et quand on croit le faire rougir en lui jetant son métier à la face, il se redresse en s’écriant : « Oui ! homme de lettres ! Pas autre chose, je le serai jusqu’à ma mort. Et puissé-je mourir de littérature. Et si, par hasard, je suis éternel, je ferai durant l’éternité de la littérature. Et jamais je ne me fatigue d’en faire, et toujours j’en fais, et je me f… du reste, comme le vigneron qui trépigne dans sa cuve, ivre de soleil et de vin et sourd aux railleries des braves gens qui l’écœurent… » J. Renard ne fut que cela, les larmes des pauvres, la douleur des malheureux et jusqu’aux espérances naïves des humbles tout ne lui fut qu’une belle matière à mettre en prose française. Il n’y a de vraiment gai et souriant dans les livres de J. Renard que ces petites « histoires naturelles » qui se détachent sur un fond uniformément sombre. Cette œuvre est triste à vous donner tout de bon le spleen. Il a défini le cafard : « Noir et collé comme un trou de serrure » : ses livres à lui sont noirs et à ras de sol comme un trou de tombe païenne. Ils sont d’un homme pour qui rien n’est beau, rien n’est bon, sinon les arbres, les prairies, les rivières, les bêtes et les « brumes fragiles qui naissent le soir, vivent la nuit, meurent au matin comme ses rêves ». J. Renard est un misanthrope hargneux, un de ces pessimistes qui se délectent à se nourrir de fiel ou à le répandre. On me dit qu’il est mort de l’artériosclérose ; j’aurais cru plutôt à quelque maladie de foie, à un flot de bile rentrée. Il ne s’exceptait point d’ailleurs de l’universel mépris. Je trouve dans les Noisettes creuses des réflexions qui ne supposent pas chez l’auteur une très haute estime de lui-même : « quel jour sommes-nous donc ? Des gens quelconques qui n’impressionneraient pas une plaque photographique. Lu des choses avec un œil de verre, d’une langue pendante, des phrases où l’herbe pousse entre les mots. Frotte mon front comme un parquet. Eternuer, renifler, souffler… J. Renard se traitait lui-même à peu près comme Flaubert traitait Bouvard et Pecuchet. Ce pessimisme maussade et résigné est assez étrange chez un homme qui rêvait de transformation sociale et qui appelait de tous ses vœux l’ère promise de la justice et de la fraternité humaine. Il avait inventé un criterium littéraire tout à fait inédit : « pour savoir si un livre est bon, disait-il, essayer de se faire les ongles en le lisant, si l’on n’y parvient pas, le livre est bon. » J’ai essayé en lisant Ragotte. L’épreuve est concluante. Ce n’est pas J. Renard qui vous empêchera jamais de faire vos ongles. On ne s’attache pas à ce chasseur de métaphores qui se tourmente et tourmente son lecteur « la tête pleine, écrit-il de son étrange personnage, el éteint la lampe, et, longuement, avant de s’endormir, il se plait à compter les images » On fait comme lui : on compte les visages et l’on n’arrive pas toujours au total … avant de s’endormir. »

Publié dans MORT

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