AUSTRUY

Publié le par LAURENCE NOYER

Henri Austruy : La Nouvelle Revue, 15 juin 1912 « Poil de Carotte » (théâtre) « Un autre écrivain récemment disparu, Jules Renard, vient de faire son entrée à la Comédie. Jules Renard a été classé parmi les écrivains humoristes. L’humour est assez difficile à définir et il est parfois impossible de savoir où il commence et où il finit. Le plus souvent, c’est de la psychologie aiguë, tantôt drapée dans des voiles légers d’ironie, tantôt masquée derrière des exagérations apparentes et des déformations qui rendent mystérieux et plus profond le but poursuivi. En tout cas, que Jules Renard ait été ou n’ait pas été un écrivain humoriste, il n’en reste pas moins un grand écrivain. Il observa ses semblables objectivement et subjectivement, c’est-à-dire qu’il les voyait extérieurement à lui, puis rapportait en lui-même cette vision pour la scruter et l’analyser selon son être propre. Il devait opérer aussi de la manière inverse, c’est-à-dire qu’il se voyait lui-même à travers les autres. Et n’est-ce point là les seules méthodes où peuvent résider un peu de vérité ? A peu de choses près, tous les hommes et toutes les femmes ne sont-ils pas des animaux identiques, plus ou moins déguisés et masqués par des influences héréditaires ou acquises ? L’hypocrisie et le mensonge utiles jusqu’à la nécéssité la plus absolue au sein d’un milieu social se volatilisent devant une irrémissible réalité, lorsque cette réalité se présente seule et non accompagnée des circonstances qui la faussent d’ordinaire. On dit que devant la mort tous les hommes sont égaux. Il faut donc que tous les hommes se ressemblent et ils se ressemblent à quelques grimaces près. Ce sont ces grimaces que Jules Renard a notées avec un soin d’entomologiste. Il devait trouver à ce travail une joie amère et quelque peu diabolique. Gustave Flaubert procédait ainsi, mais chez lui le romantique impénitent qu’il n’a jamais cessé d’être aux heures les plus volontaires de réalisme s’évadait sponténément du monde visible et palpable pour s’élever aux formidables visions caricaturales, grandies encore par un lyrisme effréné. L’auteur de Poil de Carotte voyait plus minutieusement, avec des yeux de myope, précis et froids ; mais ce qu’il a observé et rendu est de la matière vivante, douloureuse et tressaillante d’être ainsi fouilllée par l’implacable scalpel du philosophe et du penseur. Poil de Carotte est une silhouette tragique sous des dehors ridicules et paraissant créés pour amener le rire. Mlle Marie Leconte en a fait une admirable création. M. Bernard connaît à fond son Jules Renard, l’ayant pratiqué à l’Odéon avec la Bigote. Mme Fayolle est une bonne Mme Lepic d’un réalisme parfait et Mme Dussane est une bonne comme on n’en voit peu dans les villages. »

Publié dans poil de carotte

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