BACHELIN

Publié le par LAURENCE NOYER

Henri Bachelin : 12 aout 1927, Journal « Le Journal de Jules Renard est son chef-d’œuvre et il est inégalable. Jamais, dans la note d’une ligne, personne ne pourra atteindre à cette concision doublée de cet humorisme lyrique. Ces sensations sont telles que beaucoup deviennent idées, le plus normalement du monde. C’est net, clair, et brillant soit comme le soleil, soit comme la lune. Ce n’est point ma faute si depuis des années je répugne à ce qu’il a publié de son vivant, qui manque un peu de substance. Quelque part dans une de ses Lettres, Flaubert exprime son idéal d’un style qui s’assimilerait au marbre ; Renard, dans son Journal, parle de son idéal, qui est le style « vertical, diamanté, sans bavures ». Ils ont réalisé leur rêve, l’un et l’autre, mais Flaubert, en y incorporant l’histoire imaginée ou vécue, Renard, en s’en abstenant beaucoup plus par manque d’intelligence que par scrupule d’artiste ; et, comme c’est surtout la sensibilité qui fait l’artiste, Renard était plus artiste que Flaubert. Une courte phrase sur les peupliers, dans le Grillon, d’autres très nombreuses, jetées de-ci, de-là, des chapitres comme la tempête de feuilles, comme Feuilles d’automne, en administreraient la preuve aux plus réfractaires. Les descriptions de Flaubert relèvent plus de l’intelligence que de la sensibilité ; il en va tout au contraire de celles de Renard. Cependant, si persuadé que je sois de la dignité, chez l’artiste, de la sensibilité, il m’est impossible de ne pas désirer de voir s’y allier, chez lui, l’intelligence ; non pas celle du métaphysicien, ni de l’homme politique, ni du chimiste, mais cette intelligence qui fait qu’un Flaubert crée un Homais, un Balzac, un Hulot, ou un Rubempré. Tout est matière d’art, à condition qu’on stylise : les idées pures comme les faits bruts, l’économie politique et sociale comme les sentiments généraux. Barrès n’a pas rechigné à introduire, dans les Déracinés, le budget d’un journal. Et je préfère cela, malgré tout, aux paragraphes de Renard sur la vie des paysans nivernais : le style y est, oh ! certes, incontestablement, mais c’est tout. Flaubert prétendait que, fond et forme, c’était tout un. Renard s’est chargé de démontrer le contraire. Forme à peu près parfaite, fond à peu près nul. Dans la préface que j’ai écrite pour l’édition Bernouard, j’ai fait tous les efforts nécessaires pour grouper, pour synthétiser : je dois dire que l’œuvre même de Renard s’y oppose. Il y a des épis : il n’y a pas de gerbes. Même s’il y a des gerbes, il n’y a pas la matière d’un bon chariot. Son Journal, ce sont des épis, et présentés comme tels, et même chaque grain de chaque épi »

Publié dans journal

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article