DAUDET

Publié le par LAURENCE NOYER

Léon Daudet : Bernard Grasset « l’Entre-deux guerres » « Barrès, quand on lui parlait de Jules Renard, répondait : « Laissez-moi tranquille avec ce jardinier ». Il y a du vrai dans cette définition, si l’on ajoute que le jardin de Jules Renard produisait à la fois des choux, des pommes de terre, des poireaux de brave et loyale saveur française, et du mancenillier, du curare, du strychnos nus vomica. Avec cela un besoin de franchise soudain et irréversible qui lui faisait avouer à mon père, fort accueillant et aimable pour lui : « Je ne sais pas si je vous aime ou si je vous déteste, mon cher maître. » - « Odi et amo » lui répondait Daudet, sans s’émouvoir. Il me demandait ensuite : « Tu vois Renard plus fréquemment que moi. Qu’en penses-tu ? » - « Que c’est un cryptogramme rustique, un de ces signes de ralliement, dessinés à la main par les chemineaux sur les portes des granges et des maisons et que le passant non initié ne déchiffre pas » Renard avait un très joli talent descriptif, cela est certain ; je ne l’ai jamais autant goûté que ne le fait mon cher Byvanck, par exemple, célèbre critique hollandais, quand il l’égale à La Bruyère ou à La Fontaine. Mais il ne semblait à l’aise ni dans son œuvre ni dans sa peau. Fendeur de cheveux en quatre, il aspirait à la puissance et à la fécondité lyrique. Biographe des existences opprimées, tourmentées ou manquées, - Poil de Carotte, le Pain de ménage, l’Ecornifleur, - il déclarait ne pouvoir supporter que les gens tout d’une pièce et déterminés. Le bruit court qu’il a laissé des cahiers de notes d’une grande crudité, où sont ses impressions au jour le jour sur les uns et les autres. Voilà une collection qui serait bien intéressante à consulter. Je présume que ce recueil ne doit pas être exceptionnellement tendre ni indulgent. Mais qui sait ce qui se passait au juste derrière le front bombé et les yeux froids de Jules Renard ? Il n’a livré son secret à personne pas même à Byvanck. Un jour, au cours d’une conversation littéraire qui n’avançait pas,- car nous inhibions tous les deux, étant séparés par plusieurs précipices, - je découvris avec amusement, dans Renard, un anticlérical à la Homais. Il réfutait aigrement le bon Dieu, à l’aide de la chimie, de la physique et même de l’histoire naturelle. Comme je riais, il faillit se fâcher, lui placide d’ordinaire, et me déclara tout de go qu’il haïssait : 1° les nobles, 2° Les curés, 3° les riches, et qu’il voudrait tous les voir à la lanterne. Il devint ainsi, pendant une bonne demi-heure un personnage de ses Philippe et je le regardais maintenant avec une certaine stupeur. C’est ce qui lui fit écrire rageusement, à je ne sais plus quel endroit, que « la République est solide et Léon Daudet perd son encre ». Il racontait qu’il avait eu une jeunesse très malheureuse et qu’il avait beaucoup souffert. Je me suis demandé depuis si sa souffrance ne lui venait pas de la contradiction profonde qui existait entre ses aspirations intellectuelles et ses moyens d’expression assez courts, s’il ne se piquait pas, et cruellement à son propre dard. Il aurait voulu, disait-il quelquefois, être directeur de conscience et chef d’école d’un grand nombre de jeunes gens. Il faut pour cela une personnalité forte, riche, expansive. Renard était une personnalité pauvre, griffue, sans générosité, et qui s’en rendait compte. Il ne faisait grâce à son plus intime ami ni d’un faux pas, ni d’un petit travers, et il supposait toujours, chez autrui, la plus mauvaise pensée. Quel sombre, quel pessimiste ! Quand je pense qu’il y a eu des serins pour le ranger parmi les auteurs gais ! Je rêve d’un pastiche de son cher La Bruyère : « On voit des hommes, dans les campagnes, peinant sur des miniatures de bêtes et de gens. » Ce bon écrivain, cet esprit faible est demeuré à mes yeux le prototype des êtres tordus psychologiquement, sans que l’on pusse démêler le sens du pli de leur torsion. Le goût de la syntaxe, la sobriété dans le trait ne sont pas tout. Je conclurai en me demandant, d’après ses histoires naturelles : « Etait-il une abeille ou une guêpe ? » J’ai bien peur qu’il ne fut une guêpe. Comme il produisait relativement peu, à la fois par manque de fécondité et par scrupule littéraire, ses confrères et la critique lui témoignaient une indulgence relative. On lui savait gré de ne pas tenir trop de place. Mais, lui, démêlant leur mobile, ne leur rendait pas la pareille, ah, bigre non ! A une époque, il faisait des armes avec assiduité, dans l’intention, disait-il avec un sourire pincé, « d’en supprimer un ». Au sortir de l’assaut, il avalait avec satisfaction un grand verre de vin blanc, à la paysanne, et soupirait : « Quel art difficile, - un temps, - mais indispensable ! » Il expédiait souvent sa pensée toute crue, afin qu’on la prît pour un paradoxe. Il est mort jeune, après une maladie cruelle, où il montra un magnifique courage. En général, les bons écrivains, comme les bons soldats savent mourir. Au lieu que les politiciens et les médecins ont peur de la mort. Chacun, en regardant autour de soi, pourra corroborer cette remarque, qui comporte, bien entendu, des exceptions. »

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