TROHEL

Publié le par LAURENCE NOYER

Jules Trohel : Le Mercure de France, 15 juillet 1932 « Au pays natal de Jules Renard » « Poil de Carotte de ce titre étrange : Auteur Nivernais, originaire de la Sarthe ?. Etait-ce de l'ironie à la manière du maître? Peut-être bien et lui-même aurait souri qui disait
volontiers « Mon vrai village est Chitry-les-Mines, près de Corbigny; je ne prétends pas que j'y sois né, non, puisque mon acte de naissance, dûment légalisé, affirme que ce mince événement arriva à Châlons-sur-Mayenne; je ne sais même pas où ça se trouve. » Je ne sais même pas où ça se trouve! Oh! comme j'aurais été heureux, aux heures calmes et débonnaires d'une vieillesse que les destins n'ont pas voulu lui accorder, faire à cet humoriste, qui fut plus qu'un humoriste, un comique de race incomparable, les honneurs de cette campagne mayonnaise qu'il ne connaissait pas, qu'il ne voulait pas connaître. Comme j'aurais été ému en la lui présentant dans sa simplicité charmante avec ses horizons mesurés, mais harmonieusement étendus, ses haies qui, elles aussi, savent « chanter comme des volières ses chemins rugueux montrant « leurs veines et leurs os « ses sillons fumant ». Il l'aurait aimée, sa terre natale, car elle est accueillante et discrète. Il aurait
regardé avec joie le petit clocher de son église surmonté d'un coq s'étonnant « de la mobilité folle des hirondelles ». Il aurait aimé Châlons-du-Maine, cet humble village perdu dans les landes et les sapins, aux confins de la forêt d'Hermet, village ou Ragotte n'est pas morte et où Philippe lit toujours le Petit Parisien. C'est en pensant à lui, Les Histoires naturelles en poche, que je suis venu un dimanche de juin dernier, alors que les genêts pleuraient leurs larmes d'or sur les chemins et que les aubépines s'épanouissaient aux joyeux reposoirs des haies, rendre visite à Châlons, village natal de Jules Renard. Et je l'ai revu tel qu'il devait être en cet après-midi du 23 février 1863 où, par devant Pierre, François, Riandière maire, s'inscrivit son nom, sur le registre de l'Etat civil, vers une heure du soir, en présence des sieurs Louis Dufoyer, aubergiste, âgé de 48 ans, et de Jean Favrie, propriétaire, âgé de 41 ans, demeurant tous les deux au bourg et amis des époux François Renard, âgé de 39 ans, entrepreneur, et dame Anna- Rose Colin, âgée de 27 ans, son épouse. Ces deux témoins présidant à son entrée dans la vie ne semblent-ils pas avoir été choisis par le destin avec un soin tout particulier? Un aubergiste, un modeste propriétaire, petites gens sans horizon dont il devait plus tard de son scalpel curieux disséquer l'âme pour en découvrir et en saisir tous les secrets. Le jour de ma visite, un franc soleil animait et vivifiait la pauvre bourgade qui, l'hiver, doit apparaître tout attristée, resserrée qu'elle est dans la ceinture mélancolique des landes et des pins. Dominée vers le Sud par une longue lande de. bruyère qui vient mourir à l'orée d'un bois de sapins formant une sorte de crête suivant la route vers Montsurs, Châlons est là, perdu, hésitant au carrefour des routes qui le relient à Gesnes (6 kil.), à Argentré, son chef-lieu de canton (9 kil.), à La Chapelle Authenaise (4 kil.) et à Montflours (8 kil.) une croisée de chemins, quelques groupes de maisons, une église qui bénit le tout, tel est le berceau de Jules Renard, dénommé officiellement Châlons-du-Maine, et non Châlons-sur-Mayenne. Sur une placette gazonnée se dresse son église comme un dessin silhouetté de Ricardo Florès; romane dans son en- semble, elle s'évase assez curieusement vers sa base, semblant demander au sol toute sécurité contre les vents qui l'assaillent des quatre coins du ciel et ses murs s'appesantissent sur leurs arcs-boutants. Son chevet, plus ancien, à fenêtres rondes est envahi par les lierres qui étendent, un peu plus chaque année, leur chape vert sombre sur l'or grenu des roussarts. C'est une église semblable à bien des églises mayonnaises, sans élégance, mais si pieusement isolée, si accueillante au passant, si vraiment maison des humbles, qu'on ne saurait passer devant son seuil, sans le franchir, la prière aux lèvres. Dédiée à saint Pierre et à sainte Bésaire, rien n'y a été changé depuis le joyeux éveil du petit Renard, car sa dernière restauration date de 1845; son maître autel, œuvre de Michel Lemesle de Laval, est de lin tuffeau angevin; il est orné de colonnettes et de plaques de marbre et son centre resserré dans cette armure sombre est occupé par un bas-relief assez curieux dans sa simplicité et sa charmante naïveté, représentant l'adoration des mages. II est flanqué de deux petits autels symétriques dédiés à la Vierge et au rosaire. Dans la nef, pavée de briques usées qu'un lavage récent rosit comme une jonchée de roses trémières, ont été inhumés messire René Garnier, curé, décédé en 1736, et discret Leconte Julien, curé, décédé le 22 novembre Ï716. La corde de la cloche descend du clocher et frôle le visiteur qui regagne le porche; un oiseau chante au rebord d'une verrière entr'ouverte et le parfum des foins coupés embaume la calme retraite. Tout autour de l'église serpente une ruelle bordée de maisons basses et derrière les vitres inégales de leurs croisées que fleurissent les giroflées et les trèfles perpétuels j'ai cherché la silhouette d'Honorine et je l'ai découverte près de l'allée conduisant à la Cure, avec ce visage sans expression et quelques lignes de nos Frères farouches sont revenues à ma mémoire « On dirait qu'une bête l'a longtemps grattée pour y faire son gite, c'était trop dur, la bête a renoncé. J'ai recherché en vain le café Dufoyer où logèrent pendant quelques mois les parents de Renard; peut-être était-ce celui- là que j'apercevais piqué en sentinelle; tout au bout du village, avec son enseigne en lettres noires sur le ciment blanc, prometteuse de confort « Ici on loge à pied et à cheval. Hélas, aucun souvenir des Renard n'est resté et ne peut plus être recueilli. Le registre poussiéreux de la mairie conserve seul la preuve indéniable de l'heureux événement. Au nom de tous ceux qui ont gardé le souvenir de ce sage, de celui-là chez lequel, comme l'écrivit Tristan Bernard,(1) « il était bon d'aller de temps en temps pour régler sa conscience , j'ai voulu accomplir ce pèlerinage, revoir Châlons-du-Maine dans sa simplicité villageoise et tenter d'en fixer l'aspect morne et frileux; ce pauvre Châlons perdu à l'orée des bois sombres, où les hasards des fonctions paternelles voulurent que naquît Jules Renard et où il ne voulut jamais revenir. Quelque court que fût son séjour en Mayenne, il est curieux de constater cependant comme il semblait bien de chez nous. (1) Discours préparé par Tristan Bernard pour !a cérémonie de Corbigny et lu par Alfred Athis. Du Mainiau, il en avait l'âme si bien définie par Paul Ollivier le ferme courage, l'âme probe et sans détours, éprise de paix et de clarté, de ferveur et de mystère, de gaîté et de curiosité, discrète et ingénue comme celle des enfants. Son talent fait de sensibilité un peu froide, d'humour naturellement timide et inquiet, de philosophie claire et pitoyable, ne se livrant que peu à peu, mais tout entier, qu'après, si l'on peut dire, avoir fait complète connaissance avec son lecteur, ne rappelle-t-il pas en vérité bien souvent les traits les plus caractéristiques de l'esprit mayennai
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Publié dans portraits

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