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Publié le par LAURENCE NOYER

Lugné-Poe: Le Petit Parisien, 24 mai 1935 “le 25 ème anniversaire de la mort de Jules Renard » C'EST le 22 mai 1910 qu'est mort Jules Renard. Depuis que ce poète n'est plus, je voisine avec lui sans cesse II a exercé une attraction si singulière sur mon esprit que je suis venu loger à deux Pas de sa maison. Longtemps j'ai vécu près de lui. L'Age est venu et je descends ou monte la rue du Rocher

en bavardaat encore avec Jules Renard. Ou plutôt non. je le laisse parler. Il me dit d'aller à la campagne le plus possible, de m'y lever tôt, dès l'aurore, le premier à saluer le soleil, et, honteux, je réponds par des      monosyllabes.
Ah: que j'étais heureux autrefois lorsque ja pouvais attraper Jules le rencontrer au théâtre ou A la Revue
Blanche ! Lorsque nous nous trouvions par hasard seul à seul dans un lieu clos, alors le trac me prenait par
quelques mots, il me décortiquait la cervelle. Son front puissant, proéminent, magnifique, couvert de petits
cheveux blonds « je vous dis qu'ils sont roux », déclarait Poil de Carotte), s'inclinant vers moi, tel je le vois encore en novembre lorsqu'il pénétra dans mon petit bureau de la rue Turgat afin de retenir des places pour Solness le constructeur. Il me fi peur. Il me souriait et ses yeux « vrillaient » Il ne ressemblait à aucun des autres qui travaillaient pour le public. Quelle sécurité de soi-même fallait-Il posséder pour se livrer tant soit peu un personnage si singulier
L'ayant reconnu, je baissai le nez, me renfrognai dans le respect et n'en sortes plus. Ceci non par émotion ou timidité, simplement parce que la formule magique et effroyable de Jules Renard venait de renaître à ma

mémoire « C'est 1’homme que je suis qui m'a rendu misanthrope » . Elle n'avait encore été imprimée que dans une revue.
Mais par instinct, dès ces premières secondes de contact, j'eus la révélation que cet homme, qu'on déclarait aigu, ironique, sec, cachait une étrange, rare sensibilité, mais qu’il ne la montrait pas par pudeur d écrivain, par honnêteté scrupuleuse. Ce devait donc
être une joie pour ses camarades, qu'il avait su choisir de quailté, de le mettre, lui, en morceaux, tant ils demeuraient convaincus que Jules Renard ne livrait rien au dehors sans l'avoir retourné, malaxé, rêvé en         grand poète qu'il fut et qu'Edmond tttatand chérissait et qu'il ne serait jamais, mais jamais encombrant, ne            voulant pas devenir riche.
Souvenons- noua du mot profond de Tristan Bernard, son ami de toujours:
« Comme on va chez l'horloger pour régler sa montre, nous montions de temps en temps chez Jules Renard
pour régler noa consclences. Jamais dans les débats de nos réunions Jules Renard ne fut vraiment lui-même Il vivait en dehora », ce socialiate si anarchiste en vérité, homme des champs de son Morvan, de sa Glo-
nette, de Chaumot où il se retrouvait toujours l'extraordinaire super- sensible qu'il cachait. Lorsque Eloi,
pseudonyme qu'il s'était crée, Eloi, 'homme de lettres par excellence, plaitantait, son rire n'étalt pas du tout
celui de Bas-de-culr ainsi que d'aucun veulent nous le faire croire. C’était celui d'un homme qui savait
d'une part mépriser la médiocrité et d'autre part n'admirer seulement que les grandes oeuvres et les belles
choses. Quel respect professait-il pour Hugo…
Mais sa gaite foncière, il la retrouvalt surtout à la campagne. LA, Il était lui.
Je venais de louer une bicoque à Mantes comme d'autres « Pantruchards », je voulus tout de suite y
avoir des œufs de poule bien à moi. Ces oeufs-la reviennent toujours au Parisien amateur, aussi bien que les poules, à un prix exorbitant. Suzanne
Després décida de consulter Jules Renard, l'invitait a venir nous voir; voici quelle fut sa réponse
« J'apprécie comme il convient toute la délicatesse du prétexte que vous avez choisi pour m'invtter à aller vous voir à Mantes.
J'irai certainement et bientôt.

En ce qui concerne vos poules, je vous engage à mettre quelques œufs dessous : c’est le moyen le plus généralement employé pour avoir des petits poulets. N'en mettez pas moins d'un et pas plus de treize, une
nourriture rafraîchissante (non délayé) car elles auraient vite mal au derrière . Déclamez leur du Poil de Carotte, ça les désennuiera et voua aurez un ooq Séparez vos poules de vos meilleurs
amis et enfermez-les bien A l'ombre, Au bout de vingt et un jours, les poulets casseront leurs coqiiillss. Ne
vous en mêlez pas, si Lugné a trop d'émotion, dites-lui de s'asseoir. Qu'elles aient toujours près d’elle dà boire et à manger.
Si dans vingt et un jours vous n’avez rien, c'est que vos œufs n'auront pas été fécondés.
Mais vous me faites rougir. Jules Renard.
Il aimait bien plus Suzanne que moi-même il avait raison. N'empêche que ce fut moi le premier que Jules
Renard annonça, le 20 novembre 1999, en me priant d'en aviser Suzanne, que Poil de Carotte était reçu par Antoine. Les répétitions furent mouvementées. Un soir, dans la loge de
Suzanne Després, je dus mettre de l’huile dans l’engrenage. Jules Renard, très inquiet expliquait à la
comédienne « Voyez-vous, Poil de Carotte est un petit sauvage « plus comme cela » (et Renard soulignait d'un geste), pas fémlnlnt plus ombrageux! Je ne suis pas assez    ombrageuse ? interrompit Suzanne. Reprenez votre Poil
Suzanne le créa néanmoins et sur sa brochure Jules Renard écrivit : A Suzanne Després, en souvenir d'un
soir où dans sa loge elle fut un peu plus Poil de Carotte que je ne voulais. » « Mon cher admirable petit
frère ! »
Mais qu'il fut heureux de cette soirée « 1900, quelle bonne année me disait-il. Mais maintenant faire
une grande pièce, moi. ah non ! Voyez-vous, c'est le dernier acte La Rodogune qui nous prouve qu'il ne
faut faire que des pièces en un acte; Et notre amitié respectueuae, déférente, subsista, Suzanne grimpa sou-
vent les deux étages du 44 de la rue du Roctier lorsqu'elle le sut malade. Il l'interrogeait avec insistance     pour savoir dans quel état me trouvaient ceux de ses amis {moi-même) qu'il croyait atteints du même mal que lui trouvant dans les réponses comme un peu de réconfort Et Suzanne redescendait en larmes.

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