Yann Loranz : L’Ouest-Eclair, édition de Rennes,05 janvier 1933

Publié le par LAURENCE NOYER

Yann Loranz : L’Ouest-Eclair, édition de Rennes,05 janvier 1933 « COMMENT JULIEN DUVIVIER, ACTEUR ET METTEUR EN SCÉNE A DÉCOUVERT « POIL DE CAROTTE » « Lorsque le bon Jules Renard écrivit son Poil de Carotte, il était sans doute très loin de se douter que son livre marquerait dans la littérature moderne, mais il était plus loin encore de penser qu'un jour son douloureux chef d'oeuvre serait accaparé par une muse dont jamais encore on n'avait entendu  parler dans les concerts du Parnasse celle du Cinéma.

Vous avez tous lu, n'esi-ce pas, cette bien pénible histoire qui met en scène un enfant martyr ? Il est donc inutile que j'ajoute de vains commentaires à ceux, plus qualifiés, qui ont empli la

littérature contemporaine de Jules Renard.Sans doute, dans certains milieux on parlait encore de Poil de Carotte. Le petit bonhomme à la tignasse d'un blond ingrat et aux taches de rousseur, incarnait le type des enfants victimes d'une marâtre, mais tout de même il menaçait un peu de se perdre dans les brumes lointaines du souvenir Il a fallu alors qu'un metteur en scène, exacteur de l'Odéon et ami de Daniel Riche. Julien Duvivier ressuscitât ce drame navrant.

Poil de Carotte ? Julien Duvivier l'avait pénétré jusqu'au plus profond de l'âme. Le livre, il l'avait lu et relu,  il en avait saisi toutes les subtilités tous les détails infimes et très lentement, dans son cerveau d'artiste, mais l'idée de découper le roman de Jules Renard et de le transporter à l’écran.

Poil de Carotte n'est d'ailleurs pas un roman comme les autres. point d'intrigue banale qui retient vainement l'attention. c'est une pointe sèche vigoureuse, une synthèse magnifique de tableaux qui s'éclairent de l'attachante et douloureuse frimousse du petit Lepic.

Jules Renard a détaché de l'album malheureusement trop épais de l'enfance malheureuse, une page saisissante de vie. Cette page, il l'a gravée, martelée avec un soin jaloux et comme le ferait un artiste d'une eau-forte. Il a su donner à ce drame profondément humain un relief extraordinaire.

Pour que Poil de Carotte triomphât à l'écran, il fallait que son transpositeur fut un second Renard. il lui fallait surtout dégager tous les traits essentiels, toute la psychologie de l'œuvre littéraire. Ce serait mal reconnaître les qualités éprouvées de Julien Duvivier que de ne pas l'en croire capable. Nous attendons la vision de Poil de Carotte avec une entière confiance.

Ce film sorti il y a quelques semaines à peine on dira encore qu'à Rennes ils passent avec deux ans de retard des studios du Pathé Consortium Cinéma, nous vient précédé d'une réputation solide. Duvivier ne s'est-il pas d'ailleurs assuré la collaboration d'Harry Baur et du petit Robert Lynen, une véritable révélation de l'écran ?

Dans une école du 14'Lorsque Poil de Carotte fut présenté il y a un mois environ sur l'un des plus beaux écrans de Paris,  l'on vit soudain, sur la scène, un spectacle émouvant un petit garçon d'une dizaine d'années se détacha d'un groupe  et vint se jeter dans les bras du célèbre Harry Baur.Le grand artiste saisit le gosse entre ses bras puissants et le présenta à la foule c'était un délicieux bambin à la mine éveillée et souriante. ses cheveux blonds étaient soigneusement lissés, il portait un pull over de bonne coupe et un col Danton largement ouvert laissant deviner la naissance de clavicules.  Le public n'eut aucune peine à reconnaître le petit héros du film, tout à l'heure malingre, souffreteux et vêtu de haillons.

Les applaudissements crépitèrent. Alors le petit Roland Lynen dont les yeux disaient la joie et l'intelligence, s'avança jusqu'à la rampe et, le plus gracieusement du monde, lança des baisers. Tu envoies des baisers, déjà gronda amicalement Harry Baur, mais mon petit, tu ne sais même pas encore ce que c'est que d'être applaudi Et le jeune Robert regardant son grand camarade d'un air de tendre reproche articula

  • Vous avez raison. j'ai compris la leçon

La découverte par Julien Duvivier du Poil de Carotte qui lui convenait est des plus romanesque ; écoutez-là plutôt : Le grand metteur en scène en quête les beaux yeux qui illumineraient le douloureux minois du petit Lepic poursuivait avec patience ses investirions dans les écoles de quartier. Un jour, qu'il assistait à la sortie des élèves d'urne école du quatorzième arrondissement,  il fut frappé par la physionomie d'un modeste garçonnet. il alla tout droit à lui

-Comment t'appelles-tu ?

-Robert Lynen.

-Aimes-tu le cinéma ?

-Oh oui

Et  en disant ce « oh oui >, les yeux bambin lançaient une flamme rouge.

Veux-tu tourner avec moi dans un film? continua Duvivier.

Trop  ému pour répondre, Robert  rougit et baissa la tête, mais son cœur disait oui.

Quelques heures après et le contrat lit signé. Robert Lynen abdiquait vie du collégien anonyme pour devenir l'enfant gâté des studios.

Dans un petit village tapi au fond la vallée de Chevreuse, Robert Lynen se repose aujourd'hui des fatigues ? ces studios enfiévrés ;  il vit entre un père un artiste peintre d'origine suédoise et sa mère une cantatrice de famille américaine. il s'enivre de la fraicheur des bois et du chant des oiseaux, il sourit à tous et à la nature.

Quelle radieuse étoile cache ce blond bambin qui, hier  lançait des baisers aux spectateurs enthousiasmés après les avoir émus jusqu'aux larmes ? »

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