Michel Cournot : Le Monde, octobre 1979 « Le Pain de Ménage

Publié le par LAURENCE NOYER

«L’habitude à l’Académie Française comme ailleurs est de jouer ce dialogue à fleurets mouchetés, comme si la délicatesse et l’esprit du texte conduisaient eux-mêmes l’action, commandaient eux-mêmes jusqu’à la nature des deux protagonistes. Dans la nouvelle mise en scène d’Yves Gasc, Claude Winter et Jacques Toja prennent le contre-pied de la tradition. Jacques Toja crée ici un personnage d’homme à la fois brusque, égoïste, presque grossier, instinctif, mais qui a gardé une jeunesse, des honnêtetés, une distance d’avec soi-même, des élans du cœur. Personnage plus riche que changeant, personnage d’une présence extrême, qui n’est pas du tout une « composition » normale d’acteur, qui procède par d’autres voies, comme si Jacques Toja avait détourné, puis réenfanté, un assez grand nombre de substances pures de la vraie vie, si bien que  cet homme ne nous impose pas seulement un charme, une emprise, mais quelque chose comme une parenté, une complicité profonde ; cet homme sur la scène, a dès lors une telle charge de réalité que le dialogue de Jules Renard cesse d’être un exercice d’esprit. Il acquiert une autre dimension, il n’est plus de l’écriture, il est une suite presque hasardeuse de vérités éprouvantes, d’aveux honteux, de mensonges, d’abandons, de paniques et de tentatives d’innocence, de générosité, qui ne sont pas là comme si Jules Renard, l’œil plissé, les avait écrits à sa table, mais qui arrivent troubles et chauds, comme les expressions inévitables de la nature de cet homme qu’au moyen du texte du Jules Renard, Jacques Toja fait se dresser là : c’est un beau travail d’acteur, et qui plus est, courageux. Claude Winter, participe du même dessein, mais d’une manière moins évidente, à juste raison, parce que Jules Renard a voulu cette femme plus maîtresse d’elle-même : dans cet acte, c’est la femme qui mène la danse, c’est elle qui suscite l’imprudence, qui arrête l’alerte en chemin. Remarquable présentation donc, où même des choses de rien, des bêtises, une trace de menthe au fond d’un verre, un rai de lumière sous une porte, un souffle de vent dans un rideau, une boulette de mie de pain oubliée sur une nappe nous touchent beaucoup, non pas par leur sens, mais c’est plus fort, par leur gratuité. »

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