Raphaël Sorin: Le Monde, 15 juin 1984 « Un humour zen »

Publié le par LAURENCE NOYER

« En 1945, dans les Temps modernes, Sartre a publié l’Homme ligoté – notes sur le Journal de Jules Renard. Cette étude, même si Gilbert Sigaux en a signalé « l’aveugle allégresse », est un bel hommage à Renard. Avec son « réalisme du silence », et sa quête d’une « concision  absolue », il serait l’ancêtre des écrivains hantés par le vide, Blanchot en tête. Le Journal fourmille de remarques qui ont l’air d’annoncer « l’ère du soupçon » : « la nouvelle formule du roman, c’est de ne pas faire un roman ». On a comparé bien sûr l’Ecornifleur à Paludes de Gide et au Bavard des forêts, deux livres en train de se défaire, en se faisant. Renard est sans doute un héritier de Flaubert, le vrai initiateur de la « crise » avec Mallarmé. Jean-Michel Gardair, dans une brillante préface de l’Ecornifleur, s’est amusé à indiquer comment, pour des scènes de ce roman, Renard emprunta plusieurs poncifs au Dictionnaire des idées reçues, Gardair, qui cite une formule laconique du Journal (un style blanc), indiquait aussi avec ironie la filiation possible entre le « degré zéro de l’écriture » et le minimalisme de Renard, voulant écrire et décrire « au niveau de la mer ».Revolver à silencieux, le style de Renard, si l’on compare sa férocité contenue aux inventions de Fénéon et de Duchamp, deux esprits sardoniques qui surent faire mouche, a pourtant une autre portée. Sartre n’a pas su voir le côté de son humour ni que Renard était plus proche de Lichtenberg que de Duranty. « Poésie : beau titre pour un livre de prose » ; « Il me semble que , bien lancé, j’écrirais la psychologie d’un chien, celle d’un pied de chaise » ; « J’ai évité l’ennui » ; Avec de tels traits, Renard s’est libéré de ses liens. Il nous faire rire encore, douloureusement. »

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