PRESS-BOOK 1894

Publié le par LAURENCE NOYER

Gaston Olmer : L’art et la vie, 1er novembre 1894 « Le Vigneron dans sa vigne » « Le dernier livre de Jules Renard, Le Vigneron dans sa vigne vient de paraître. Il est d’aspect bizarre ; deux textes sont superposés ; en haut, les Noisettes creuses, collection de pensées sur tous les sujets ; au-dessous des petits contes, comme toujours parfaits de style. La note ironique y est de moins en moins apparente ; l’auteur ne sourit plus d’aussi bon gré ; et en même temps domine plus de sentimentalisme ; il n’apparaît pas par des lamentations ou des complaintes ; Jules Renard reste fidèle à son impersonnalité ; mais le sentimentalisme se dégage du fait raconté, et domine le souvenir que le lecteur en rapporte ; d’ailleurs les pensées du haut se font de plus en plus amères ; est-ce seulement pour Jules Renard une crise momentanée de misanthropie ? Ou est-ce l’effet produit par la maturité qui arrive ? En tout cas on peut remarquer que Jules Renard, dans le cadre impeccable de son style, sait toujours heureusement se renouveler. Je ne puis encore parler du livre Poil de Carotte, il va bientôt paraître, nous y retrouverons sans doute l’enfant « bien grandi ».

Léon Daudet : La Nouvelle Revue, 1er novembre 1894 « Le Vigneron dans sa vigne » « Le nouveau petit livre de Jules Renard, le Vigneron dans sa vigne, est une délicieuse succession de récits humoristiques et acérés comme sait les aiguiser l’auteur de l’Écornifleur, le père de ce Poil-de-Carotte qui pourrait bien devenir classique, car il a tout pour cela, le petit bonhomme, une langue bien pendue et parfaite, un tour d’esprit issu de La Fontaine et un œil spécial, avec une ouverture spéciale sur les spectacles naturels et humains. Une typographie particulière donne pour chapeaux à ces histoires, d’une sécheresse divertissante et soutenue, des aphorismes tels que ceux-ci : C’est l’homme que je suis qui me rend misanthrope. — Je me promenais au milieu des arbres quand ma bottine s’alourdit d’une motte de terre boueuse. Je voulus m’en débarrasser et je vis combien il est difficile de trouver un petit morceau de bois dans une forêt. Je montrerai un jour comment cette apparence, plaisante sans grimaces et détachée sans chute, couvre un tempérament d’écrivain d’une absolue originalité et d’une force artistique de premier ordre [...] Pour quiconque se préoccupe d’étudier l’écrivain derrière l’œuvre, Jules Renard est une des personnalités les plus énigmatiques et les plus curieuses qui soit. La clarté des anecdotes types dont il compose son sujet ajoute encore à l’ambiguïté des conclusions. C’est une chose impressionnante qu’une lucide et régulière avenue de réflexions dans laquelle on s’engage peu à peu et dont on ne trouve pas le bout et l’issue. C’est ce que j’exprimerai assez mal en disant que Poil de Carotte fait rêver »

Paul d’Armon : Le Voltaire, 30 octobre 1894 « Le Vigneron dans sa vigne » «M. Jules Renard nous adresse sa nouvelle plaquette, Le Vigneron dans sa vigne. Cette vigne, en effet, appartient, sans conteste, à l’auteur de Sourires pincés. Il y ramasse des « noisettes creuses », (ce sont des choses qui n’arrivent qu’à lui), pour le plaisir de nous agacer les dents. En voici, une destinée à contribuer à l’étude des cas de ruptures : « Chère chérie, vous ne m’aimez plus. Autrefois, quand je restais longtemps aux cabinets, vous veniez discrètement frapper de légers coups à la porte, et vous me demandiez, inquiète : - N’es-tu pas malade, mon ami ? « Aujourd’hui, vous m’y laisseriez mourir. » La Rochefoucauld a répondu d’avance, avec la même concision, à la plainte de cet abandonné : « C’est presque toujours la faute de celui qui aime de ne pas connaître quand on cesse de l’aimer. » Que la modestie de M. Jules Renard me permette le rapprochement. C’est encore au terrible duc que nous fera penser cette courte phrase : « Etes-vous comme moi ? Quand j’ai des petits embêtements avec une personne, je voudrais tout de suite la voir morte ». Ces réflexions, qualifiées de « noisettes creuses », accompagnent une quinzaine d’histoires brèves qui déshabillent d’un coup de griffe des vices ou des ridicules. Le Sommeil interrompu, l’Epouse bâillonnée, l’Amour du pays ; mais il faudrait les mentionner presque toutes, en transcrire des fragments, je ne le puis. »

H.Gausseron : La Revue Encyclopédique, 15 novembre 1894 « Le Vigneron dans sa Vigne » (Archive non trouvée)

André Willy : Tresse et stock 1894 « Soirée perdue » «Ne parlons pas du Sâr, fuligineux wagnérien de la dernière heure, qui connaît la Tétralogie comme le bon sens français, de réputation. Mais ce jeune de si grand talent, Jules Renard! Je lui ai entendu soutenir que la peur de la musique est salutaire comme celle de la débauche. Il fréquente l'Opéra une fois l'année, pour faire l'ange, comme on s'offre une orgie de temps en temps, quelque samedi soir, après une longue période de dur travail, pour faire la bête. — Simple paradoxe. — Possible ; Renard est le prince du fumisme à froid — un prince sans rire — et il s'est peut-être bien payé ma noble tête de vieillard. Mais rappelez-vous la définition de Taine, pas un fumiste celui-là : « La musique éveille toutes sortes de rêveries agréables. »

Jean Ajalbert : La Revue Socialiste, 15 novembre 1894 « Le Vigneron dans sa vigne » « Dans la littérature actuelle, M. Jules Renard occupe une place à lui, et rien qu’à lui. Observateur réaliste, outrancier, humoriste violent, avec une langue serrée et aiguë, il ne peint pas, il ne grave pas, il découpe à l’emporte-pièce. En récits denses et brefs, en raccourcis de vingt lignes, il fait tenir une anecdote, un paysage, des personnages, — et la fable est souvent dramatique. J’entends comporte toute une action, et le paysage, le milieu où évoluent les êtres est orné d’un crayon sûr, et les personnages vivent, comme sondés à l’âme, se révèlent d’un trait, où tant de romanciers useraient de pages et de chapitres. Cela va jusqu’au grossissement et demeure dans la vérité, et d’un français, d’un classique intense, du La Bruyère mêlé de Sterne. La vigne dont le vigneron Jules Renard nous verse le vin d’une marque si authentique est de ceps français, alternés de plant américain. De là ce goût de terroir un peu âpre, d’autant plus prenant à nos palais usés ».

La Plume, 1er décembre 1894 « Le Vigneron dans sa vigne » « Vingt-cinq louis de rire pour quarante sous, tel devrait être le titre du nouveau petit livre de Jules Renard publié par le Mercure de France. Que de jolies choses dans ces alertes pages ! Pensées en haut, et quelles : « Chère chérie nous ne m’aimez plus. Autrefois quand je restais longtemps aux cabinets, vous veniez discrètement frapper de légers coups à la porte et vous me demandiez inquiète : N’es-tu pas malade mon ami ? Aujourd’hui vous m’y laisseriez mourir ! » ; Un trait vert ; des nouvelles joyeuses dessous parmi lesquels il faut mentionner l’Homme fort, la Promenade du chien, le parapluie, l’Impôt et le Sommeil interrompu. Les autres ne sont pas dans le ton : une même, l’Epouse bâillonnée, dépare le volume (j’oubliais le titre : Le Vigneron dans sa Vigne) »

Alphonse Daudet : Journal, 16 décembre 1894 «Le vigneron dans sa vigne » « Malgré mon admiration, je lui préfère encore des choses comme le Bijou et l’Horloge du Vigneron dans sa vigne. Je ne sais rien de plus parfait dans la littérature française. Vous faites des chefs-d’œuvre sur l’ongle. Vous êtes un homme du XVIIème siècle. Il vous faudrait la cassette du roi ou d’un grand seigneur, car jamais on ne pourra vous payer ce que vous faites, et vous y êtes si particulier, si « chez vous » que vous ne pourriez pas faire autre chose. Je ne vous vois que dans un jardin d’un mètre carré, et renté par l’Etat. Que ne faites-vous comme Céard, qui gagne 5000 francs à Carnavalet, comme Henri Fèvre qui ne sait même pas ce qu’il fait ! Et n’attendez pas d’être au bout : c’est le moment. Vous voilà une vedette. Tous vos admirateurs, et moi le premier, nous nous mettrons en quatre, et je ne dis pas ça en l’air. Ce n’est pas une plaisanterie d’ami. Demandez quelque chose, la lune si voulez, et nous vous l’aurons. Ainsi, me dis-je, on conseille aux jeunes littérateurs de prendre d’abord un emploi. »

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