DUQUESNEL

Publié le par LAURENCE NOYER

Félix Duquesnel : Le Gaulois, 13 mars 1902 « Le Plaisir de Rompre » « Ici, on a donné, hier soir, discrètement, en lever de rideau, Plaisir de rompre. A ceux qui pourraient croire que dans Plaisir de rompre, il est question de la rupture entre Mme Sarah Bernhardt et M. Catulle Mendès à propos de Sainte Thérèse, nous dirons qu’il n’en est rien, qu’il s’agit simplement de l’acte exquis de M. Jules Renard, représenté aux Escholiers en mars 1897, et qui, d’un bond, a sauté sur la scène de la Comédie Française. Il est vrai qu’il a mis cinq ans à prendre son élan. Ce petit drame intime, c’est, en quelques scènes, l’épilogue d’une histoire d’amour, la séparation, la « rupture », à l’heure triste où est venue la satiété, avec ce dernier soubresaut du cœur, qui n’est qu’un dernier réveil de tendresse avant l’extinction finale des feux ! Que tout cela est de vérité vécue et vraie dans son amertume, et comme il est fouillé de main délicate, ce chapitre suprême du roman qui palpite, sous la mélancolie de la désillusion, sous l’émotion poignante de l’adieu à celle qu’on ne doit plus revoir, avec ce réveil instinctif du ressouvenir, cette vision du passé qui vous reprend, puis s’efface tristement, parce qu’on a la conscience secrète que l’heure est venue de reprendre, chacun, sa liberté, parce que le « revivre » est impossible, que le passé est bien mort, et que le fleuve ne se remonte pas. C’est un petit chef-d’œuvre, que cette fine comédie, qui mérite mieux que la symphonie des petits bancs. Un jour ou l’autre, elle prendra sa place dans une combinaison qui permettra de lui donner le « baisser de rideau », puisque le sort fatal des pièces en un acte est, aujourd’hui, de « lever » ou de « baisser », le milieu du spectacle étant réservé aux grandes sœurs, qui, souvent, sont de piètres personnes. Plaisir de rompre n’a que deux rôles, cela va de soi : lui, qui est M. Mayer : elle, qui est Mlle Sorel – le rôle de l’amant désabusé, égoïste, inconscient, qui n’aime plus guère, s’il a jamais aimé, qui n’a ni le courage de la fuite, ni l’énergie du retour, fut créé jadis par Mayer, qui y était tout à fait vrai, réel, vivant – « la vie » est sa grande qualité – il s’y est retrouvé ce qu’il était, il ne pouvait mieux faire. Mlle Sorel a repris le rôle crée par Mme Jeanne Granier. Ce rôle qui est la « tempête dans un cœur », le résumé d’une existence d’illusion et d’amour, suivi après le rêve, du réveil de la réalité cruelle, a été bien exprimé par Mlle Sorel, qui y a montré des qualités de sensibilité exquise, tour à tour touchante, puis désenchantée, écœurée jusqu’au mépris, se laissant aller au souvenir, puis se reprenant elle-même. Le rôle est complexe, elle en a vraiment bien rendu les émotions et les sensations si diverses, sans jamais sortir de la vérité. »

Publié dans Le Plaisir de Rompre

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