LEROUX

Publié le par LAURENCE NOYER

Gaston Leroux : Le Matin, 7 mai 1903 « Monsieur Vernet » « M. Vernet est un type que nous avons vu dans l'Ecornifleur. Avez-vous lu l’Ecornifleur de M. Renard ? Il faut le lire, c'est son chef-d'œuvre. M. Renard se défend, paraît-il, d'avoir mis, avec M. Vernet, l’Ecornifleur sur la scène. C'est la vérité et c'est regrettable. Le cynisme truculent de cet homme de lettres écorniflant le bourgeois, mangeant à sa table, aimant dans son lit, lui volant sa femme et lui violant sa nièce, constatant, quand il est seul, à haute et intelligible voix, la bêtise touchante de ses hôtes et la crapulerie merveilleuse de son adroit parasitisme, ce cynisme-là, d'un si inattendu relief, d'une lâcheté si savoureuse, d'une joyeuse et exaspérante brutalité, semblait destiné à devenir tout à fait scénique. Chez Antoine. Oui, cet écornifleur, sur cette scène-la, eût passé la rampe. La pièce d'hier est tout autre chose. Avec M. Vernet, qui est l'écorniflé de cet écornifleur, Renard nous a fait une petite comédie bourgeoise, pleine d'un sentiment quasi-sincère auquel il semble bien s'être pris lui-même. De temps en temps, l'auteur se blague, car il en avait, dans sa jeunesse, l'habitude, mais son bon coeur est visible et sa pièce d'hier nous prouve qu'il croit enfin aux honnêtes gens. Il aura beau s'en défendre, il s'est attendri à cette simple histoire de ce brave bourgeois accueillant d'un cœur large et d'une bourse déliée un poète sans le sou, en faisant son ami et le priant soudain, la mort dans l'âme, de le quitter pour toujours, car il s'est aperçu à temps que le poète aime sa femme et que lui, Vernet, va être cocu. Le chagrin sincère de cet honnête homme d'avoir à procéder à cette exécution, les formes douces qu'il y met, et le baiser mouillé de larmes avec lequel il dit adieu à l'ingrat, tout cela est d'un charmant dessin, mais si ténu, si petit gris, que je crains fort qu'on n'en apprécie point comme il faut toute la délicatesse. Enfin, comme dit l'autre, il y a de jolis détails. La présentation de l'écornifleur aux membres de la famille et la querelle continue de M. Vernet et de sa belle-soeur au premier acte ont amusé tout le monde. Il y a un bien joli décor de bains de mer au second. M. Signoret, dans le rôle du poète, a été « flou ». Il l'a été avec beaucoup d'adresse. J'eusse préféré pour lui la silhouette si précise et si rude et si amusante de l'autre écornifleur. Mais rien n'est de sa faute. M. Antoine; dans les dernières scènes du deuxième acte, a donné à la physionomie de Vernet tout ce qu'elle comportait d'émotion hébété, de gros chagrin et de bon sens. Mme Chérèl fut à souhait Mme Vernet grassouillette et sentimentale, et Mlle Miéris fut un peu voyou; mais avec combien de grâce, dans le rôle de la nièce qui ne sait rien encore des choses de la vie. Vous savez ce que Mlle Ellen Andrée peut faire avec ces figures déplaisantes de parentes revêches et acariâtres. Elle a hier encore pleinement
rempli son emploi
. »

Publié dans Monsieur Vernet

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