NAZZI

Publié le par LAURENCE NOYER

Louis Nazzi : Comoedia, 21 mai 1910 « du Plaisir de rompre à la Bigote » « On éprouve une certaine gêne et une certaine pudeur au moment de parler de Jules Renard. Il ne se présente point comme un sujet facile de dissertation. Il a méprisé la rhétorique, et la rhétorique le lui rend bien. Jules Renard n’est pas de ceux-là qui étalent avec ostentation ce qu’ils appellent leurs idées, leurs opinions et leurs thèses. Il ne prête pas autant que M. Brieux, à des développements inépuisables. Il n’a point fait le tour du monde et des systèmes. Il ne joue pas au pédagogue. Il n’est qu’un artiste. La méthode de Jules Renard, c’est la méthode des classiques français, de la Bruyère à Gustave Flaubert. Son idéal est de traduire humainement la nature et l’homme. Il est, de plus en plus, l’ennemi de toute littérature. Ce qu’il veut c’est traquer la vérité et la piquer encore toute palpitante, aux pages de ses livres. On l’a nommé un ironiste et certains même l’ont qualifié : auteur gai ; il n’est ni ceci, ni cela. Il est un réaliste convaincu qui apporte dans son art et dans la vie une foi obstinée et attendrie. S’il fallait définir, coûte que coûte, en une formule cursive, le talent de Jules Renard, je dirais qu’il est celui qui dit vraiment la vérité, dans un temps où l’art suprême est de mentir habilement. Jules Renard a conçu et créé ses comédies sans songer aux recettes futures. C’est un original ; il n’a point aligné des chiffres dans les marges de ses manuscrits, à côté des répliques se poursuivant. Il a fait du théâtre contre son gré, je le parierais, parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. La gloire, qui se conquiert sur les planches, ne l’a ni attiré, ni fasciné. Mais des bouts de dialogue se sont amassés, derrière son front, comme y avaient mûri les contes drus et savoureux. Il a fait sa récolte, à l’heure qu’il fallait, et sans hâte. Il est un livre de Jules Renard qui porte pour titre : Le vigneron dans sa vigne. Le vigneron, c’est Jules Renard. Avec sa crâne franchise, il a osé écrire cette vérité bienfaisante qui semblerait une inconvenance si elle était proférée dans un salon littéraire : « Aujourd’hui, on fait du théâtre pour être de l’académie ou pour s’acheter un automobile…» ce qui fait l’absolu mérite du théâtre de Jules Renard, c’est qu’il y a apporté la même probité artistique, la même volonté de perfection que dans ses meilleurs livres. Ses comédies vives et sobres sont de la même encre que l’Ecornifleur, Histoires naturelles ou Ragotte. On y retrouve la même discipline implacable et les dons pareils d’observation, de tendresse et de naïve intuition. L’auteur dramatique, chez Jules Renard, est demeuré digne et égal à l’écrivain hautain qui a dit : « Je serai un homme chez les hommes, « coupeur de terre », comme les appelle Marot. Mais je garderai l’œil de l’artiste, cet œil pur, incorruptible, que rien ne blesse, car toute vie est à voir. » La Bigote vient de paraître en librairie. Voilà ce qu’il faut redire. On se souvient de l’étude enthousiaste et hautement respectueuse que M. Léon Blum consacra, ici, même en octobre dernier, à cette belle et courageuse comédie. Malgré toute la tendresse qu’on peut porter à Poil de Carotte, il faut convenir que La Bigote ne lui cède, ni par les ressources de l’art, ni par la qualité du sentiment. On y admire ce même don du dialogue vivant, elliptique, imagé, cette faculté de créer des formules heureuses et évocatrices, cette conduite sûre et lente des scènes et cette philosophie sereine et pitoyablement indulgente. Et maintenant, nous attendons l’Entêté, ces trois actes que Jules Renard nous annonce et qu’il nous doit. Nous nous plaisons à le reconnaître lui-même, dans ce titre. Jules Renard confessait à M. Byvanck, Hollandais débarqué à Paris en 1891 pour y découvrir les auteurs français, son plus secret tourment : être le premier des écrivains vivants. Déjà il s’acharnait à son œuvre, ardemment, comme un paysan à son champ. Depuis vingt années, il a retourné sa terre, sans relâche, roulé, hersé, semé et fauché. Je ne suis pas, sans doute, un grand connaisseur, mais je crois que son vœu d’autrefois est aujourd’hui réalisé ou bien près de l’être. Jules Renard possède, à mon avis, pour le présent, les plus beaux blés en terre et ses granges sont les mieux remplies »

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article