MARTEL

Publié le par LAURENCE NOYER

Charles Martel : L’Aurore, 22 octobre 1909 « La Bigote » «M. Jules Renard vient d’ajouter à ce chef-d’œuvre de théâtre Poil de Carotte, un pendant auquel, pour être exact, il faut bien donner la même qualification. M. Lepic, maire d’une petite commune et propriétaire à son aise, attend la venue de son futur gendre, Paul Rolland, ou plutôt sa rencontre comme par hasard, car m. Lepic, original teinté de misanthropie, diseur de son fait à tout le monde et ne se gênant pour quiconque n’a jamais attendu personne. Une fois déjà, il a donné audience à un prétendant à la main d’Henriette, mais ce dernier, en fin d’entrevue, prit la fuite ayant l’air de regarder Mme Lepic et sa fille comme phénomènes dangereux. Que lui avait-il donc raconté ? Simplement l’histoire de son mariage à lui telle qu’il la raconte à Paul, à qui d’ailleurs il a tout de suite accordé Henriette avec dot rondelette, mais sans assurance qu’il sera heureux en mariage. La fille est tout le portrait de la mère et celle-ci est La Bigote. Rigoureusement honnête au sens charnel du mot elle a trompé moralement son mari avec tous les écclésiastiques que se sont succédés dans le pays sous ce titre, M. le curé. Jolie, aimante, elle a été chrétiennement désséchée puis conduite, par les voies de la Sainte Eglise, vers tout ce qui n’était pas son mari. Si bien que la laissant après vaine lutte, à son trop heureux rival, il s’est retiré, malgré la vie commune en railleuse et philosophique solitude. Voilà l’antécédent dont il terrifia le premier prétendu, mais qui ne réussit pas à effrayer le second. Paul aime Henriette, Henriette l’aime, elle promet fermement de s’affranchir de l’hérédité maternelle, de laisser M. le curé à son église… Hélas, M. le curé se présente conduit par Mme Lepic et Henriette cédant au charme se laisse imposer une bénédiction. Le ménage Roland sera un second ménage Lepic, un ménage à trois avec l’homme de dieu pour tiers. Sunt duo in carne una a dit l’apôtre. Le Tartuffe, ces Messieurs d’Ancey avaient montré l’action dissolvante du prêtre dans la famille où selon la contatation de Michelet il prend la femme, M. Jules Renard dénonce à son tour ce péril. Il le fait au faux-nez des Homais cléricaux avec autant de courage que de tact et de talent. Quel talent ! Ces types admirables, chacun dans sa vérité vécue, ces répliques inattendues et qui sont cependant la réplique à faire, ce comique aussi franc qu’original, et toute cette observation, cette profondeur dans la moindre plaisanterie, toute cette douleur aussi et cette amertume font de la Bigote une de ces pièces si fortes, que ceux-mêmes qui prétendent, en leur qualité de gens de théâtre, croire à l’Immaculée Conception sont forcés de saluer l’œuvre de Jules Renard. Antoine l’a montée avec un pieux amour lui donnant l’interprétation de M. Bernard qui a l’honneur de frapper de son éffigie le type immortel de M. Lepic, de Marthe Mellot, qui exprime délicieusement l’état de cette jeune martyre tirée entre son père, sa mère, son époux et son amant sacré. J’ai vu donner par Marthe Mellot un caractère à des rôles de petit tambour ou de gosses d’Ambigu, vous devinez ce qu’elle peut faire avec un personnage de la Bigote, Mme Kerwich, M. Bacquié, M. Desfontaines, Stephen, Mme Marley, réalisent chacun à souhait des types dont une critique sérieuse vous devrait le détail, mais que fatalement vous connaitrez quelque jour à fonds, La Bigote étant bien plus que l’Eglise assurée de ne point disparaître de la scène du monde.»

Publié dans La Bigote

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