PLACIDE

Publié le par LAURENCE NOYER

Léon Placide : l’Ecole Nouvelle, 23 juin 1910 « Souvenirs sur Jules Renard » « Je n’ai point à m’excuser d’adresser seulement mon hommage à Jules Renard un mois après que nous a quittés cet homme probe et bon, ce bon et probe écrivain. Un tel mort n’est pas de ceux qui vont vite. J’ai eu l’honneur de le rencontrer plusieurs fois et un souvenir très vivant, très profond m’est demeuré de ces entrevues. Avec un de nos jeunes amis, aujourd’hui inspecteur primaire dans l’Est, j’étais allé demander à l’auteur de Poil de Carotte de venir parler du théâtre contemporain devant un groupe de jeunes maîtres d’élite. L’accueil de l’écrivain fut très simple, sans rien de cette cordialité factice que répandent les âmes banales et les esprits indifférents. Dès qu’il sut ce que nous étions, il se mit tout de suite à nous parler de l’école, des espérances qu’il fondait sur elle, de l’intention qu’il avait eu jadis d’être lui-même un éducateur, de la manière dont il essayait de réaliser sur le tard en travaillant à l’éducation de ses compatriotes de la Nièvre. Mais il interrogeait bien plus qu’il ne contait. C’est le mouvement post-scolaire qui l’intéressait surtout. Pendant que nous lui disions nos espoirs, ses yeux que je vois encore briller sous le casque de son front bombé, épiaient notre enthousiasme. Il ne le partageait d’ailleurs pas sur tous les points. Il lui paraissait plus difficile qu’à nous de faire goûter au peuple la beauté. Victorieusement, je lui objectais que certaines pages des Histoires naturelles, certains chapitres de Poil de Carotte, lus à mes élèves, les avaient ravis. « Cela ne prouve rien, répondit Jules Renard avec un sourire, cela ne prouve rien. » Malgré son effroi de la « conférence », il promit celle-là, en considération de l’auditoire. Il devait, en effet venir et être exquis. Au moment où nous allions nous quitter, mon camarade eut la malice d’insinuer que j’écrivais dans un journal pédagogique. Comme je balbutiais, un peu furieux et tout à fait stupide, aimablement Jules Renard insista : « Mais si ! Envoyez-moi votre journal. Je connais trop peu ces publications. Je suis sûr qu’elles m’intéressent ». Il fallut bien m’exécuter. Quand je le revis, après lui avoir expédié un paquet d’Ecoles Nouvelles, il me dit : « J’avais bien raison quand je vous ai demandé de me faire connaître la presse d’enseignement. J’y ai trouvé beaucoup d’idées, beaucoup de vie. Je ne saurais mieux vous le prouver qu’en vous annonçant mon abonnement à l’Ecole Nouvelle. Cela me sera très utile pour diriger l’instruction de mes enfants. Voilà come Jules Renard fut un des abonnés de l’Ecole Nouvelle. Mais si nous pouvons être fiers de l’avoir aidé, si peu que ce soit dans l’éducation de ses enfants, c’est son seul amour du peuple, sa seule passion de la justice qui ont inspiré ses beaux efforts en faveur des paysans de sa terre natale. On nous a raconté qu’au moment où le petit cortège funèbre est passé devant l’école de Chitry, les enfants ont arrêté leurs jeux et l’instituteur a suivi d’un long regard d’adieu le cercueil de celui qui lui avait offert son aide et son amitié. C’est la France entière qui doit suivre du même regard ami celui qui sut unir à l’absolu respect de sa langue, l’amour ardent de son idéal républicain. »

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