LEBLOND

Publié le par LAURENCE NOYER

Maurice Le Blond : La Tribune « discours lors de l’inauguration du monument » « Au nom du Comité du Monument, j’ai l’honneur d’exprimer toute notre gratitude à M. Le Ministre du Commerce et de l’industrie qui a bien voulu se soustraire à ses importantes occupations, pur venir ici, en compatriote, en ami de Jules Renard, présider cette inauguration et rehausser l’éclat de cette cérémonie. La présence d »un membre du Gouvernement nivernais lui-même, achève de donner sa signification et son caractère à la fête d’aujourd’hui qui a pris peu à peu l’ampleur d’une manifestation régionale. Car il faut bien le dire, Messieurs dès le début, lorsque nous eûmes l’idée de commémorer Jules Renard au centre de ce petit bourg, où l’on n’entend d’ordinaire que la cadence monotone des sabots et la menue rumeur des basses-cours, lorsque notre comité se constitua, nous ne voulions que célébrer, dans son décor naturel, une des expressions les plus classiques de la littérature moderne. Mais en présence de l’élan populaire qui s’est dessiné partout aux alentours, dans toute cette courbée, en faveur de votre illustre et regretté compatriote, devant les témoignages de tant de communes qui de toute part nous ont adressé leurs souscriptions et leurs encouragements, il a fallu renoncer à l’intime et discret hommage que nous rêvions, et nous avons voulu que ces fêtes littéraires fussent aussi les fêtes de la population toute entière. La célébration que notre comité a préparée avec une constante ferveur, s’adresse d’abord à l’écrivain, au styliste impeccable, à l’artiste incorruptible, mais nous ne pouvons oublier le républicain robuste, le militant têtu, qu’il fut encore, l’honnête homme et l’homme d’action, invariablement épris d’un idéal laïque et social. Ici sur ce coin de terre, dans le cadre de ce village, ces deux hommes se confondent en une seule figure. Nous aurions pu certes choisir, soit à Nevers, soit même à Paris, en emplacement moins retiré, un carrefour plus pompeux. Mais où donc aurions-nous trouvé un endroit plus évocateur du génie littéraire de Jules Renard, une place où son souvenir soit plus vivant ? Voici la petite école où Poil de Carotte vient tout enfant avec grand frère Félix, voici les luzernes et les prés qu’arpentait votre chasseur d’images. Nous reconnaissons au loin ce « peuplier qui jongle avec deux pies que le vent affole », et, là-bas, « ces tas de fumiers qui fument par les champs comme des chevaux dételés ». Nous sommes en vérité dans le domaine de Jules Renard, c’est ici qu’il promenait son observation acide et pourtant fraternelle, et dans ce pays, à chaque motte de terre, à chaque touffe d’herbe, il semble que nous foulions une de ses métaphores. Et regardons encore autour de nous, dans l’assistance, voilà bien ce casseur de cailloux, cette ramasseuse de bois mort, dont il nous a dépeint la mentalité rugueuse et le rude aspect. J’aperçois la petite Berthe et la vieille Honorine. Et puis ce sont tous ceux des Bucoliques (et n’est-ce pas le bon Philippe et la vieille Ragotte qui se dressent là-bas pour mieux voir l’effigie ressuscitée de leur bon maître). Oui voilà bien les modèles vivants de Jules Renard, et, rassemblés ici, ils ignorent sans doute que, par le sortilège merveilleux de l’art, ils vivent déjà d’une autre existence littéraire qui est peut-être immortelle. Mesdames, Messieurs, Cette place charmante et rustique, exigeait un monument simple et discret, exempt de toute pompe et de toute symétrie. Aussi faut-il remercier le sculpteur Pourquet d’avoir adapté avec tant de bonheur la ligne de notre gracieux monument à l’aspect même de ce cadre bucolique. Je crois donc être l’interprète de tous les souscripteurs en lui adressant au nom du comité nos plus chaleureux et nos plus sincères remerciements. Monsieur le Maire, en remettant ce monument à la commune de Chitry, nous le plaçons sous la sauvegarde de ces « coupeurs de terre » que chérissait si profondément Jules Renard, nous le confions à la piété de ceux qu’il appela ses « frères farouches ». Tandis que les applaudissements crépitent, le voile qui recouvrait le buste tombe soudain et l’œuvre du sculpteur apparaît toute entière. Dans la foule un vif mouvement de curiosité se produit, les cous se tendent, les têtes s’agitent. Chacun veut voir, apprécier, admirer. Le monument extrêmement gracieux et de proportions très harmonieuses est sculpté dans une pierre blanche légèrement patinée…le sculpteur a voulu adapter l’œuvre à son cadre, à la petite place gazonnée aux multiples pans coupés, à la route qui refuse d’aller tout droit, au chemin qui cahote et qui se faufile entre les maisons mal alignées, en dents de scie. Il a placé son monument sous un petit sureau au feuillage capricieux formant dais, face à la minuscule école que Jules Renard aimait tant, et le dos tourné à l’église. Le long d’une stèle en pierres brutes, rappelant les murs décrépits de Chitry, un arbre se dresse, symbole de l’inspiration puisée au terroir, et de sa frondaison émerge le buste en bronze de l’écrivain ; sur la stèle cette simple inscription : A Jules Renard (1864-1910) A terre un tronc d’arbre sert de banc à un garçonnet vêtu d’un tablier d’écolier et chaussé d’espadrilles. C’est le petit Poil de Carotte, l’enfant chéri du maître, et l’artisan de sa gloire. Il a l’air triste, le pauvre gosse à la tignasse rebelle et fatale ; il appuie sa tête sur sa main, contre le socle, comme s’il voulait trouver protection auprès de son créateur, et l’aimer à ne plus se séparer de lui. Par une délicate pensée, M. Pourquet a donné à l’enfant souffre-douleur les traits de Suzanne Desprès, l’inoubliable créatrice du rôle. Et aux pieds de Poil de Carotte, deux poules picorent, complétant le caractère bucolique de ce monument. Le buste de Jules Renard est également très remarquable et de l’avis unanime d’une ressemblance frappante. C’est bien le crâne pyramidal en forme de haricot, suivant la pittoresque expression d’Henri Bataille. C’est bien le regard aigu froid, d’une fixité étrange bien rendue par l’immobilité du bronze. C’est le pli amer de la bouche aux lèvres pincées, dissimulée sous la moustache, avec un sourire énigmatique, où se mêlent la raillerie, la pitié, la tendresse. C’est bien l’attitude attentive du chasseur d’images à l’affût. On dirait qu’il écoute les mille bruits de la nature, qu’il entend ce que les autres oreilles n’entendent pas, les chuchotements de l’invisible… c’est une œuvre de premier ordre. Mais voici sur l’estrade M.J.H.Rosny l’ainé, le puissant romancier, le continuateur de la tradition des Goncourt, Flaubert et Zola. Nous publierons son savant discours dans un prochain numéro ainsi que celui de M. Tristan Bernard. Qu’il nous suffise de dire que le public ne marchanda à aucun des orateurs ses plus enthousiasmes applaudissements. Ce qui fut un véritable régal littéraire, ce fut l’admirable discours de M. Robert de Flers, l’éminent président des auteurs dramatiques, que nous publierons aussi in-extenso dans notre prochain numéro. C’est d’une voix chaude convaincue, avec une émotion qui par moments gagnait l’assistance toute entière que parla M. Robert de Flers. Et la magie du discours fut telle qu’on avait l’impression que c’était vrai, que Jules Renard était venu, qu’il avait vu toute cette foule recueillie, émue, ravie, et qu’il pleurait là, quelque part, dans un coin. Enfin M. Massé prit la parole. Il était périlleux au plus haut degré de discourir après les sommités de la littérature moderne et il fallait trouver les accents nouveaux pour retenir encore l’attention du public. Mais M. Massé fut à la hauteur de la tâche, et avec un talent très sûr, avec une connaissance approfondie de son sujet, il parla moins en ministre qu’en fin lettré et artiste. »

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