MENDES

Catulle Mendès : Le Journal, 7 mai 1903 « Monsieur Vernet » «M. Jules Renard, penseur très fin, très subtil, et si délicat, artiste minutieux et rigoureux, à qui quelques lignes suffisent pour faire surgir, inoubliablement, avec une stricte et forte intensité, - comme dans une miniature qui serait une eau-forte –un sentiment, un instinct, un paysage, M. Jules Renard, qui évoque l’idée d’un Gaspard de la nuit moins pittoresque et moins lumineux, mais plus intellectuel, plus « psychique », nous offre une comédie qui ressemble un peu à l’un de ses romans, ne lui ressemble pas assez. Si Monsieur Vernet valait l’Ecornifleur, Monsieur Vernet serait un chef-d’œuvre ; ce n’est qu’une aimable comédie assez vivante, aux réels caractères, et où rêve çà et là une mélancolie. – un jeune poète, Henri Gérard, ni beau ni laid, ni enthousiaste ni ironique, médiocre avec quelque bonne grâce, et pas méchant, quoique bien capable, comme beaucoup de braves gens, d’une petite vilenie, - ce personnage a été admirablement composé par M. Signoret, - devient le commensal, au bord de la mer, de M. Vernet, - à qui M. Antoine, n’a pas donné, me semble-t-il, une physionomie bien précise ; et M. Vernet, en même temps qu’une fille adorable, a une femme charmante… Naturellement, le poète fait la cour à la charmante bourgeoise et le bourgeois, ingénu, doux et bon, marierait volontiers sa fille avec le poète. Celui-ci n’aura ni l’une ni l’autre. Ce sont d’exquises scènes, et presque émouvantes, celles où Mme Vernet, sans dureté, si simplement, avec peut-être un regret tendre, éloigne le très hésitant séducteur, pas bien entreprenant, qui consent tout de suite à ne pas insister ; où la jeune fille à marier, plus adorable d’être plus gaiement gamine, ne tient pas du tout à retenir le fiancé auquel elle n’a jamais pris garde ; où M. Vernet, seul, a quelque chagrin du poète qui s’en va, et garde comme une déception en retrouvant son honnête et paisible bonheur un instant troublé par un pauvre idéal qui passe. »